En résumé, on pourrait dire que ce fut une bonne journée au bureau pour Justin Trudeau. D'autant plus que le bureau, dans ce cas-ci, c'est la scène internationale, rien de moins.

L'avantage avec Washington, c'est que c'est le centre du monde. Alors, si vous y faites une visite remarquée, il y a de bonnes chances que vous soyez vu partout dans le monde. En ce sens, Justin Trudeau peut dire : mission accomplie.

Vous croyez que j'exagère ? J'ai suivi trois premiers ministres canadiens en visite officielle à Washington (Jean Chrétien, Paul Martin et Stephen Harper) et c'est à peine si on mentionnait leur nom à CNN et dans les grands journaux américains. Je n'ai vu personne, lors de ces visites, attendre en rangs serrés devant la Maison-Blanche dans l'espoir d'apercevoir le premier ministre canadien, comme c'était le cas jeudi pour Justin Trudeau.

La répercussion médiatique de cette première visite de Justin Trudeau à Washington dépasse, et c'est en soi une réussite, de beaucoup les frontières canadiennes. Il a fait un tabac aux États-Unis, pourtant peu impressionnés par l'habituel va-et-vient de leaders étrangers à la Maison-Blanche, et l'« effet Trudeau » a pris de l'ampleur à l'étranger grâce à ce séjour à Washington.

L'Obs, magazine français jadis connu sous le nom de Nouvel Observateur, qui n'est tout de même pas un dérivé français de People ou de GQ, écrivait jeudi que « le premier ministre canadien Justin Trudeau est en train de devenir le nouvel Obama en terme de popularité. Il a séduit à coup de communications politiques (presque) toujours réussies ». L'Obs reprenait plusieurs photos de Justin et de sa famille à Washington.

Les grands médias américains ont aussi noté, en bonne place, le passage du premier ministre canadien, un événement qui se retrouve souvent en brève de bas de page. Une telle visibilité ne peut nuire au Canada, qui devient soudain une destination « cool ».

Premier objectif, donc, atteint pour Justin Trudeau, qui entre officiellement dans la cour des grands.

Même les électeurs qui n'aiment pas particulièrement Justin Trudeau devront fouiller profondément dans leur mémoire pour trouver pareil triomphe d'un premier ministre canadien à l'étranger.

De mémoire, peut-être Brian Mulroney avec Ronald Reagan ou lors de la conclusion de l'Accord de libre-échange avec Bush père. Et encore, nous étions loin du niveau de glamour observé jeudi.

L'accueil à la Maison-Blanche de la famille Trudeau a été grandiose. Presque trop, par moment. Réunion familiale dans le bureau ovale, « high five » avec le petit Hadrien, activité commune de mesdames Obama et Grégoire, apparition sur le balcon de la Maison-Blanche, échange de bons mots, grand dîner... Encore un peu, et ils auraient fini la soirée dans le spa en buvant un Mumm cuvée Napa !

L'excitation était aussi à son comble dans l'entourage de M. Trudeau, qui s'est rendu à Washington avec pas moins de neuf ministres. Neuf ! Trop, c'est comme pas assez.

Au-delà des selfies de ministres, dont Catherine McKenna, qu'on a vu dansant avec un animateur de l'émission This Hour Has 22 Minutes dans un party après un discours de son chef, et des nombreuses photos des événements mondains, au-delà des flatteries entre MM. Obama et Trudeau, que restera-t-il, concrètement, de cette visite, notamment en environnement ? A-t-elle produit des retombées réelles ? Ça reste à voir. D'abord parce que le président Obama quittera bientôt le pouvoir, et puis parce que les cibles en matière de lutte contre les changements climatiques semblent le plus souvent n'être établies que pour être ratées.

La rencontre Trudeau-Obama de jeudi a été sans contredit un grand succès, mais le Canada et les États-Unis de Barack Obama ont manqué leur rendez-vous ces dernières années dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques.

Lorsque Barack Obama est venu à Ottawa, en 2009, Stephen Harper avait admis que « les changements climatiques représentent le plus grand défi de la prochaine décennie ». C'était déjà un progrès pour quelqu'un qui disait que les changements climatiques émanent d'un « complot socialiste ».

MM. Obama et Harper s'étaient alors entendus sur « une nouvelle initiative devant accroître la coopération transfrontalière en matière de protection de l'environnement et de sécurité énergétique ». Dans les faits, très peu a été fait par la suite.

Maintenant, les engagements entre Ottawa et Washington sur la réduction du méthane sont plus concrets, chiffrés et avec des cibles dans le temps. Mais Barack Obama s'en va et rien ne garantit que cette entente survivra à son départ de la Maison-Blanche.

Barack Obama et Justin Trudeau ont joué jeudi la carte de l'optimisme, le premier en disant que cette entente sert les intérêts des deux pays ; le second affirmant que « le gouvernement américain, quel qu'il soit, doit toujours se soucier de la crédibilité des États-Unis, surtout envers un partenaire aussi important que le Canada ».

Trop optimiste ? À voir, en toile de fond de cette trudobama, Hillary Clinton en arracher de plus en plus dans sa campagne vers l'investiture démocrate et à entendre le favori républicain Donald Trump multiplier les déclarations incendiaires, on est en droit d'entretenir quelques doutes sur la suite des relations canado-américaines.

Justin Trudeau, entouré jeudi soir à la Maison-Blanche d'un parterre plus proche d'une soirée des Oscars que d'une rencontre politique, n'avait sans doute pas envie de penser à cela pour le moment...