On ne pourra reprocher à Justin Trudeau de bafouer ses engagements électoraux à propos de la participation canadienne à la lutte contre le groupe État islamique (EI), mais pour la clarté du message, toutefois, on se gratte un peu la tête pour comprendre dans quoi, exactement, le premier ministre veut nous embarquer.

Comme il s'y était engagé en campagne électorale, le premier ministre libéral mettra fin à la mission de bombardement des six CF-18 en date du 22 février. Le Canada déploiera dorénavant ses efforts, avec plus de soldats, pour la formation des troupes irakiennes et dépensera plus pour les programmes humanitaires. Tout cela respecte mot pour mot ce qu'on retrouve dans le programme électoral du Parti libéral du Canada, et même fidèlement ce que M. Trudeau disait l'an dernier au moment où l'ex-premier ministre Harper avait prolongé la mission de frappes aériennes.

Nouveau gouvernement, nouvelles priorités, c'est maintenant un air connu à Ottawa. Il y a quelque chose de réaliste dans la position de Justin Trudeau : le Canada n'est pas une puissance militaire, il n'a pas d'ambition en ce sens, et notre contribution, historiquement, a toujours favorisé l'humanitaire par rapport au militaire. Soit, ça se tient, mais pourquoi alors faut-il que les explications en conférence de presse soient aussi laborieuses ? Ne dit-on pas que ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et que les mots pour le dire viennent aisément ? (Et non, ce n'est pas à cause du français parfois hésitant de M. Trudeau, les réponses étaient tout aussi confuses en anglais.)

Il fallait suivre les échanges des collègues journalistes d'Ottawa lundi, tout en écoutant la conférence de presse, pour bien saisir la confusion qui régnait autour de questions aussi simples que « Pourquoi rapatrier les CF-18 si les bombardements sont utiles et efficaces ? » ou « Nos soldats risquent-ils d'être mêlés à des combats s'ils sont près du front ? »

D'abord, le retrait des CF-18 : pourquoi ne pas les laisser là-bas puisque, de l'aveu même du premier ministre, ils contribuent efficacement à la mission internationale ? Bien sûr, c'est un engagement électoral, mais c'était avant le 13 novembre et avant Ouagadougou, deux événements qui ont fortement secoué l'opinion publique.

M. Trudeau a d'abord affirmé que les frappes aériennes sont utiles, surtout à court terme, avant de se lancer dans une explication brouillonne sur la capacité du Canada d'apporter son aide autrement. 

D'autant plus qu'il venait de dire que les Canadiens veulent que leur pays reste impliqué dans la lutte contre le groupe État islamique. D'ailleurs, le gouvernement canadien croit tellement aux frappes aériennes qu'il laisse sur place les deux avions de surveillance et l'avion de ravitaillement.

M. Trudeau a par la suite expliqué que l'entraînement des forces irakiennes leur permettra de reprendre, kilomètre par kilomètre, le terrain perdu aux mains des djihadistes. Soit, mais faudra-t-il, pour y arriver, que nos soldats s'approchent de la ligne de front au point de devenir des cibles et de devoir engager le combat ? « Combat », en anglais comme en français, c'est le mot tabou par excellence à Ottawa. Justin Trudeau, comme ses prédécesseurs (Stephen Harper, Paul Martin et Jean Chrétien), est incapable d'admettre publiquement que nos soldats, lorsqu'ils se trouvent en zone de guerre, risquent en effet de se retrouver sous le feu ennemi. Appelons cela le « syndrome du body bag ».

La question revient depuis qu'on a appris, il y a plusieurs mois, que les soldats canadiens engagés dans l'entraînement des troupes irakiennes faisaient aussi du marquage de cible pour les avions de la coalition et qu'ils étaient, de facto, au front. À l'époque, les partis de l'opposition, dont les libéraux, critiquaient le manque de transparence du gouvernement Harper. On avait aussi appris qu'un petit nombre de soldats d'élite étaient sur le terrain des combats, malgré les négations du gouvernement.

La présence du premier ministre et de trois de ses ministres, lundi au théâtre national de la presse, n'a pas suffi à éclaircir la question du degré d'engagement de nos troupes. Pas plus que celle touchant le retrait des CF-18. Il aura fallu attendre la conférence de presse du chef d'état-major de l'armée canadienne, Jonathan Vance, quelques minutes plus tard, pour mettre un peu d'ordre là-dedans.

Au départ, a expliqué le général Vance, la coalition craignait que le groupe État islamique ne tente de prendre Bagdad et avait assemblé une force de frappe qui n'est plus nécessaire aujourd'hui, en raison des reculs de l'EI. Les forces canadiennes seront donc plus utiles ailleurs, a-t-il dit. Bon, vous voyez, ce n'est pas si compliqué.

Idem pour les dangers inhérents d'une mission sur le terrain, près des lignes ennemies. « Plus on envoie de monde dans une zone dangereuse, plus il y a de risques », a résumé le général Vance sans détour.

La logique même : il y a plus de dangers pour des troupes au sol dans une région en guerre que dans un avion supersonique qui largue des bombes à haute altitude. M. Trudeau reprochait au précédent gouvernement son manque de transparence et il se dit aujourd'hui près des préoccupations des gens ordinaires. Il leur doit bien la franchise. Appeler un chat un chat, plutôt que de tourner autour du pot. Les Canadiens ne sont pas idiots : ils comprennent très bien les risques d'une telle opération contre de tels exaltés.

Les conservateurs, eux, ont saisi, avec cette nouvelle politique des libéraux, leur premier cheval de bataille depuis leur défaite d'octobre. La chef intérimaire Rona Ambrose a fustigé ce « pas en arrière » du gouvernement.

On a même vu l'ex-ministre Peter MacKay - candidat potentiel à la succession de Stephen Harper - sortir de sa retraite pour critiquer la fin des frappes aériennes et l'abandon de notre « contribution essentielle » contre l'EI.