Qui a dit ceci, en février 2013, à propos de l'exploitation du gaz de schiste ou du pétrole d'Anticosti ? : « Peut-on vraiment tourner le dos à cette occasion de soutenir nos programmes sociaux et agir contre notre dette ? Je dis parfois à la blague qu'au Québec, on ne veut pas chercher du pétrole, des fois qu'on en trouverait. »

Le même homme qui a dit ceci, toujours sur le même sujet, il y a quelques jours, en marge de la rencontre de l'ONU sur le climat, à Paris : 

« Anticosti, moi j'ai rien à voir avec ça. Je l'ai trouvé à mon arrivée au gouvernement. J'aurais préféré ne pas le trouver parce que j'étais contre ce projet-là quand j'étais dans l'opposition. J'espère qu'il n'y a plus d'ambiguïté sur cette question-là. Je pense qu'ils [les représentants d'entreprises pétrolières québécoises] doivent décoder que je n'ai pas d'enthousiasme pour développer les hydrocarbures au Québec. L'avenir du Québec ne repose pas sur les hydrocarbures. Absolument pas. »

Réponse : Philippe Couillard.

Il est vrai, techniquement, que Philippe Couillard n'était pas encore dans l'opposition en février 2013. Il était dans la course à la direction du Parti libéral, course qu'il allait remporter un mois plus tard. Il est vrai, aussi, que M. Couillard, une fois chef, a émis des réserves sur le « deal » entre le gouvernement Marois et des entreprises privées intéressées par le (théorique) pétrole d'Anticosti, mais il ne s'est pas opposé à l'exploitation de cette ressource.

Au contraire, il reprochait au gouvernement péquiste d'être embarqué trop tôt dans le projet (avec 150 millions de deniers publics). Il aurait préféré que Québec attende que les travaux exploratoires avancent, question de s'assurer de la présence du pétrole et de la possibilité de son extraction, pour ensuite se joindre à l'aventure.

Souhaiter bénéficier d'éventuelles retombées d'une exploitation pétrolière et y voir des vertus indiscutables pour les finances publiques, ce n'est pas exactement militer pour la fin dudit projet.

De toute évidence, le premier ministre a vécu une épiphanie verte à Paris pour prendre soudainement en grippe ce pétrole qu'il considérait comme une manne inespérée il y a moins de trois ans.

Même le ministre des Ressources naturelles de M. Couillard, Pierre Arcand, a été surpris par ce soudain rejet du pétrole d'Anticosti, à en juger par sa réaction hier à Québec.

Il est vrai qu'il serait un peu gênant de vanter les mérites du pétrole d'Anticosti, pétrole de schiste extrait par fracturation hydraulique des sols d'un sanctuaire naturel, après avoir reçu l'accolade d'Al Gore.

M. Couillard en a toutefois beurré un peu épais, surtout que, comme l'a rappelé Manon Massé, de Québec solidaire, le Parti libéral a toujours eu un préjugé favorable envers les hydrocarbures (Québec solidaire est d'ailleurs le seul parti à l'Assemblée nationale opposé à l'exploitation du pétrole d'Anticosti, Pierre Karl Péladeau et François Legault appuyant ouvertement le projet).

Rappelons notamment cette décision, en 2014, du ministre de l'Environnement, David Heurtel, de délivrer un permis de forage à TransCanada à Cacouna, au beau milieu d'une pouponnière de bélugas. Une décision qui allait à l'encontre des recommandations de ses propres fonctionnaires. Rappelons aussi le peu d'opposition (c'est un euphémisme) du gouvernement Couillard devant le projet de pipeline Énergie Est.

Quant à Anticosti, la campagne électorale du printemps 2014 aurait été une bonne occasion pour le chef libéral de faire connaître son opposition, mais il s'est contenté de critiquer l'entente signée par le gouvernement Marois.

Il est vrai, enfin, que Philippe Couillard a hérité du mauvais « deal » conclu par le gouvernement Marois, comme il nous l'a rappelé à Paris. Il se défile toutefois commodément lorsqu'il dit qu'il ne peut annuler ce contrat parce qu'une telle décision coûterait cher aux Québécois.

Il ne fait aucun doute que les entreprises privées présentes à Anticosti poursuivraient Québec pour rupture de contrat en cas d'annulation des permis, mais plus on attend, plus ces entreprises progressent dans leurs travaux de prospection, plus elles s'approchent du but, plus le montant qu'elles réclameront augmente.

Si M. Couillard n'y croit pas, mais pas du tout, comme il nous l'a dit à Paris, vaudrait mieux tirer la « plug » au plus tôt. Cela enverrait un message puissant. 

Et cela rétablirait la crédibilité perdue d'un gouvernement qui se drape dans les vertus de l'hydroélectricité tout en participant, contre son gré en plus, à un projet d'exploitation pétrolière dans un de ses joyaux naturels.

N'est-ce pas un des éléments fondamentaux des discussions à la COP21 de Paris, depuis deux semaines : oui, la lutte aux changements climatiques et les changements d'habitude (notamment le sevrage du pétrole) coûteront cher, mais il faut accepter de payer ce prix puisque nous n'avons plus le choix.

Un gouvernement majoritaire peut faire tout ce qu'il veut dans notre système, y compris injecter des millions dans des canards boiteux, subventionner des industries moribondes ou, dans ce cas-ci, se désengager d'une aventure à laquelle il ne croit plus.

Philippe Couillard a parfaitement droit de voir la lumière et de changer d'idée, mais il serait bien que ses actions à Québec suivent ses paroles à Paris.

D'autant qu'avec un baril de pétrole à 37 $, l'eldorado pétrolier au paradis des chevreuils devient soudainement beaucoup moins intéressant.