Bien sûr, on jugera ce nouveau gouvernement à ses réalisations, mais sa toute première journée aura été marquée par une mise en scène étudiée, par des surprises de tailles, par des symboles puissants et des signaux très forts pour la suite des choses.

La nomination d'une jeune avocate autochtone de Vancouver, Jody Wilson-Raybould, au poste de ministre de la Justice est sans aucun doute le coup le plus audacieux du nouveau premier ministre officiellement assermenté hier.

Mme Wilson-Raybould aura pour tâche, notamment, de piloter le dossier délicat de mourir dans la dignité au fédéral, de revoir la loi C51 (antiterrorisme) du précédent gouvernement et elle devra aussi garder un oeil sur la commission d'enquête sur le meurtre et la disparition de centaines de femmes autochtones promise par son chef. Cela fait beaucoup pour une verte recrue qui n'a jamais été députée auparavant.

Un autre autochtone accède au cabinet : Hunter Tootoo, au ministère des Pêches, des Océans et de la Garde côtière. Idle-no-more aurait-il fait des petits sur la scène politique fédérale ?

Le poste de ministre responsable des Institutions démocratiques est certes moins prestigieux, mais avec l'engagement de M. Trudeau de revoir le mode de scrutin, il prend soudainement une toute nouvelle importance.

Il a été confié à une autre jeune députée, Maryam Monsef (Peterborough), une réfugiée afghane, qui nous arrive d'un pays où les femmes n'avaient pas, jusqu'à tout récemment, le droit de vote. Le symbole est lourd de sens pour un nouveau premier ministre qui veut refléter la diversité canadienne. Depuis des années, les libéraux (comme les conservateurs au cours de la dernière décennie) courtisaient le vote des minorités ethniques.

Le message, avec la nomination de Mme Moncef et de six autres ministres d'origine étrangère, est que ces communautés ne sont plus vues comme un butin électoral qu'on approche une fois aux quatre ans, mais comme des membres à part entière de la société.

L'arrivée scénarisée du nouveau premier ministre et de sa suite à Rideau Hall, ouverte au public pour l'occasion, rappelait un peu la longue marche de Barack Obama sur Pennsylvania Avenue lors de son assermentation en janvier 2009, selfies en prime, la spécialité de Justin Trudeau. Autre symbole : ce gouvernement sera ouvert et accessible, une nouvelle approche unanimement applaudie par la presse nationale.

Il y a un peu de spectacle là-dedans, évidemment, mais il y a aussi plusieurs signaux très forts. D'entrée de jeu, on a appris que le premier ministre se réservait aussi les Affaires intergouvernementales, donc les relations avec les provinces, un geste qui n'est pas passé inaperçu dans les capitales provinciales.

M. Trudeau aura l'occasion à la fin du mois d'occuper ce poste puisqu'il a invité les premiers ministres des provinces au Sommet sur le climat, à Paris.

Pour rester dans ce domaine, autre signal : le ministère de l'Environnement, confié à une nouvelle élue d'Ottawa, s'appelle maintenant Environnement et Changement climatique. Voilà clairement une rupture avec le précédent régime.

Autre nuance, on a ajouté « Réfugiés » à Immigration et Citoyenneté.

On a beaucoup parlé, avec raison, de l'atteinte de la parité dans ce cabinet, une première au fédéral (Jean Charest l'avait fait au Québec en 2007), mais on remarque aussi un équilibre presque parfait entre sang nouveau et expérience.

Des 30 ministres, 18 sont de nouveaux députés élus le 19 octobre dernier. La Chambre des communes reprendra ses travaux dans moins d'un mois. C'est peu de temps pour apprendre, d'autant que les députés conservateurs et néo-démocrates seront prêts, eux.

M. Trudeau s'est tourné vers Stéphane Dion, Ralph Goodale, John McCallum, Lawrence MacAuley, entre autres, au risque de frustrer des recrues-vedettes comme Bill Blair, ancien chef de police à Toronto ou Andrew Leslie, ancien lieutenant-colonel que plusieurs croyaient destiné à la Défense. Pour ce poste, le premier ministre a préféré Harjit Singh Sajjan (Colombie-Britannique) un autre ancien haut-gradé des Forces armées qui a notamment servi en Afghanistan.

L'équilibre régional est également respecté. Sans surprise, l'Ontario domine avec 11 députés, dont 7 dans la grande région de Toronto. Les puissants ministères économiques (Finances, Développement économique et Commerce international) sont entre les mains de ministres ontariens. La demande d'investissement majeur dans Bombardier faite par le gouvernement du Québec au fédéral sera reçue par des ministres ontariens, ce qui pourrait mettre le bel esprit d'ouverture à l'épreuve.

Le Québec n'est pas en reste avec six ministres, dont Affaires étrangères, Transports et Patrimoine. La famille, point central du programme libéral revient à Jean-Yves Duclos, député de Québec.

Rare point négatif de cette journée savamment orchestré : le nouveau premier ministre n'a pas réussi à limiter le nombre de ministres sous la barre des 30. Impossible, apparemment, de résister à multiplier les postes lorsqu'on jouit d'une majorité.

La Gaspésie hérite d'une ministre, et c'est tant mieux, mais a-t-on vraiment besoin, en 2015, d'une ministre du Revenu national ? Autre question : a-t-on besoin d'un ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique ET d'une ministre des Sciences ?

Remarquez, si c'est tout ce qu'on trouve à redire, c'est probablement la preuve que cette première journée de l'ère Trudeau II aura été plutôt réussie.