La vie de chroniqueur politique est remplie de surprises, petites et grandes.

Si quelqu'un m'avait dit, il y a quelques années, qu'un jour je rigolerais franchement avec Stéphane Dion, j'aurais sérieusement douté.

C'est pourtant ce qui m'est arrivé il y a quelques jours, dans une chouette pizzéria de la rue Amherst. Le bonhomme détendu, souriant et, oui, drôle qui était assis en face de moi n'avait rien du politicien tendu et cassant que j'ai si souvent rencontré au cours des 20 dernières années.

Lorsque je suis arrivé, Stéphane Dion tapait maladroitement sur son BlackBerry, s'excusant pour l'impolitesse. « Bon voilà, c'est fait. Un ami m'a demandé d'aller jouer au tennis ce soir, mais j'ai refusé parce que nous sommes en campagne. Puis, j'y ai pensé : pourquoi ne pas aller jouer, puis aller manger à La Cage aux sports pour serrer des mains et regarder la demi-finale du US Open ? »

Il avait l'air satisfait d'un gamin qui vient de trouver la combine pour faire ses devoirs tout en sortant jouer dans la ruelle avec les copains.

De toute façon, lui ai-je fait remarquer, une soirée de congé ne devrait pas vous faire perdre Saint-Laurent-Cartierville. « Non, c'est vrai, mais les électeurs n'aiment pas qu'on les prenne pour acquis. Alors, je fais mon travail. »

Il faut dire que la présente campagne est moins difficile que celles de 2004 et 2006, assombries par les commandites. Moins difficile aussi que 2008, lorsque M. Dion était chef libéral, et moins qu'en 2011, avec un Michael Ignatieff qui passait mal dans l'électorat. Et puis, la longueur inhabituelle de la campagne sert le Parti libéral, affirme M. Dion.

« Ça nous aide parce qu'avec les libéraux, ce n'est jamais simple, ce n'est jamais noir ou blanc, comme nos adversaires qui font campagne sur des slogans. Comme M. Mulcair qui promet 1 million de places en garderie, même si son plan ne tient pas la route. Nos positions sont nuancées et plus difficiles à expliquer. Mais cette fois-ci, nous avons du temps. »

La longue campagne permet aussi de dissiper les doutes des électeurs envers Justin Trudeau, malmené par les publicités négatives des conservateurs. « Les publicités négatives ont fonctionné, dit-il. Bien des gens trouvent Justin trop jeune ou pas prêt. Ils sont surpris quand on leur dit que Justin a tout de même 43 ans. »

Les publicités négatives des conservateurs, M. Dion les connaît et les redoute plus que quiconque au PLC. Il y a goûté, en 2008, lorsque les conservateurs l'ont dépeint comme un chef faible, qui voulait imposer de nouvelles taxes avec son virage vert. Aujourd'hui, les pubs conservatrices disent « Not ready » (pas prêt) de Justin Trudeau. En 2008, elles disaient « Not a leader » (pas un chef) de Stéphane Dion, qui en a gardé un douloureux souvenir.

« Oui, j'ai été blessé par ces attaques parce qu'elles ont marché, dit-il. Il ne faut pas sous-estimer les conservateurs : ils sont maîtres dans les publicités négatives. »

Après l'élection de Justin Trudeau à la tête du PLC, en avril 2013, les rumeurs voulaient que Stéphane Dion démissionne et cède sa place. Près de 30 mois plus tard, M. Dion est toujours là, increvable, en train de mener sa septième campagne. « J'ai offert Saint-Laurent-Cartierville à Justin. Je lui ai dit : si tu veux le comté, je m'en vais. Mais il m'a plutôt demandé de rester. Il voulait du sang neuf, mais il voulait aussi de l'expérience, raconte-t-il en montrant en riant ses cheveux gris. Justin a aussi demandé à Ralph Goodale, à Wayne Easter et à Irwin Cotler de rester [seul M. Cotler est parti]. »

Bon pied, bon oeil, Stéphane Dion est donc reparti en campagne, visiblement serein. L'homme traqué de 2008, le prof cassant de 1997 et le père de la loi sur la « clarté » des années 2000 ont fait place à un vétéran en paix avec lui-même, qui se permet même quelques pointes d'ironie.

« Mon plan vert était le meilleur plan de lutte aux changements climatiques », commence-t-il avec enthousiasme, avant de s'autocorriger, sourire en coin. « Bien, en fait, je veux dire, le deuxième meilleur plan, après celui que mon parti présente maintenant... »

Dans une autre envolée, il parle du « plan Dion » pour les langues officielles (2003), de son plan pour la décontamination des terrains fédéraux, de son plan vert... puis il s'interrompt entre deux bouchées de pizza : « Je suis toujours en train de parler de mes plans, il faudrait bien que j'arrête », lance-t-il en pouffant de rire.

Le recul, ça a ça de bon chez les politiciens qui sont capables d'en prendre : ça relativise les événements, les défaites et les combats du passé.

Cela ne veut pas dire que Stéphane Dion est prêt à lâcher le morceau. Surtout pas en environnement. Suffit de l'écouter parler de la pénurie d'eau sur la planète et des conséquences environnementales, mais aussi politiques, économiques et sociales pour comprendre le sérieux de ses recherches sur ce sujet.

Évidemment, il pourfend le gouvernement Harper. « La plupart des pays ne font pas ce qu'ils devraient pour contrer les changements climatiques, mais le Canada est le seul pays à s'en vanter ! », dit-il.

Là aussi, il y a un peu de rancoeur. Pendant toute la campagne de 2008, les conservateurs ont ridiculisé son plan vert, le résumant systématiquement à une nouvelle taxe. « Job-killing carbon tax, répète M. Dion en secouant la tête. J'ai entendu ça 2000 fois ! Je demandais en privé aux députés conservateurs de me montrer une seule étude qui démontrait que le contrôle des émissions ferait perdre des emplois et ils me répondaient : "Bah, tu sais, Stéphane, c'est juste de la politique." »

Même ses batailles contre les souverainistes, épiques et acrimonieuses, ont aujourd'hui une teinte moins dramatique.

« Je me souviens de Lucien Bouchard qui avait parlé des Bourses du millénaire comme d'un "coup d'une violence inouïe contre le Québec", raconte-t-il. Des milliards pour l'éducation : un coup d'une violence inouïe ? Y a juste au Canada qu'on peut entendre ça ! »

Si certains, à Ottawa et ailleurs au Canada, s'inquiètent d'une remontée de l'option souverainiste avec l'arrivée de Pierre Karl Péladeau, M. Dion, lui, semble, là encore, plutôt détendu.

« Avec M. Péladeau, c'est le retour aux années 60, au ressentiment, au nationalisme ethnique. Cela ne repose plus que sur un atavisme historique du descendant de colon français. »