Connaissez-vous Rod Zimmer?

Non? C'est normal. M. Zimmer est un ancien sénateur, et au Canada, on s'en fout, des sénateurs.

En fait, les seules fois où on s'intéresse aux sénateurs, c'est lorsqu'ils se font pincer pour fraude, pour abus de fonds publics, pour des crimes sexuels ou des histoires de moeurs.

Vous entendrez donc parler du sénateur Zimmer cette semaine puisque c'est à lui que revient l'honneur d'avoir touché illégalement ou de façon inappropriée la plus grosse somme, soit près de 180 000$, en allocations diverses, selon le rapport du vérificateur général qui sera déposé demain, mais dont l'essentiel est déjà connu.

Avant d'apparaître dans le rapport du vérificateur général, cet ex-sénateur libéral de 73 ans du Manitoba avait surtout fait parler de lui sur la colline parlementaire à cause de son mariage avec Maygan Sensenberger, une starlette de 46 ans sa cadette. C'est que la dame a eu des démêlés judiciaires, notamment pour avoir menacé de «couper la gorge» à son tendre époux dans un épisode de rage de l'air. Mme Sensenberger, qui rêve de devenir actrice à Hollywood, se contente pour le moment de plus petits rôles, comme celui de robot-poupée-gonflable qui fait tout ce que son propriétaire désire. Ça ne s'invente pas.

Au Sénat, cette relation a alimenté les potins et les commentaires grivois. Maygan Sensenberger a trouvé bien drôle que des collègues sénateurs surnomment son mari «Hugh Hefner», en référence au fondateur de Playboy, connu pour son inséparable robe de chambre en satin, son manoir et ses nombreuses conquêtes.

Tout cela est du domaine de la vie privée, et un homme de 73 ans a bien le droit d'être amoureux d'une femme de 26 ans, direz-vous. Sachez néanmoins que le Sénat prend bien soin de son monde et que la femme du sénateur Zimmer aura droit, au décès de son mari, à une partie de sa pension, et ce, jusqu'à sa mort. Selon les calculs de la Fédération canadienne des contribuables, la jeune épouse pourrait toucher facilement 500 000$ en pension de survivante.

Le cas Zimmer démontre que la Chambre haute s'est enfoncée bien bas, mais il n'est qu'un des nombreux acteurs de ce triste cirque où des hommes et des femmes attifés du titre d'«honorable» se comportent comme des clowns grotesques.

Rod Zimmer a été nommé par Paul Martin. On ne peut donc pas blâmer Stephen Harper dans ce cas-ci. La plupart des cas, déjà connus et à venir, touchent toutefois des conservateurs envoyés au Sénat par M. Harper. Mike Duffy, Pamela Wallin, Patrick Brazeau, Léo Housakos, mais aussi Pierre-Hugues Boisvenu, une des cautions morales des conservateurs, maintenant soupçonné d'avoir touché des sommes auxquelles il n'avait pas droit.

Voilà qui est plus embêtant pour Stephen Harper. Non seulement a-t-il nommé les Duffy, Wallin ou Boisvenu au Sénat, mais il s'en est servi à des fins partisanes et politiques pendant des années.

L'histoire familiale de Pierre-Hugues Boisvenu est bien connue et elle a ému les Québécois, toutes allégeances politiques confondues. On ne peut que ressentir de la sollicitude envers un père qui a perdu ses deux filles dans des circonstances tragiques, l'une assassinée, l'autre tuée dans un accident d'auto.

Pour Stephen Harper, en mal de représentants élus au Québec, M. Boisvenu était le symbole rêvé en matière de lutte contre la criminalité et de droit des victimes, le crédo traditionnel des conservateurs. Le sénateur Boisvenu est donc devenu le porte-parole québécois du gouvernement Harper en ces matières, tout comme Mike Duffy était devenu l'animateur des soirées partisanes partout au pays.

C'est embêtant pour Stephen Harper, d'abord parce qu'il avait promis, il y a de ça plus d'une décennie, de réformer le Sénat. Dans les faits, M. Harper a contribué à le rendre encore plus obscur, marécageux même, et encore plus déconnecté de la population canadienne.

Ensuite, les conservateurs se sont présentés comme les gardiens de la moralité, des principes, de la transparence et d'une éthique irréprochable. Pierre-Hugues Boisvenu incarnait cette image de droiture et de moralité. Il a volontairement quitté le caucus conservateur, jeudi, sachant qu'il faisait l'objet d'une enquête de la GRC.

Avec tous ces scandales au Sénat, les conservateurs me rappellent ces républicains vertueux, donneurs de leçons, ces «newborn christians», qui avaient lancé la chasse contre Bill Clinton et dont on avait découvert qu'ils avaient presque tous des squelettes dans leur placard.

Cela éclabousse les conservateurs, bien sûr, mais les libéraux n'y échappent pas complètement, eux qui ont longtemps joué le jeu des nominations partisanes discutables au Sénat. C'est le NPD, qui n'a jamais eu de sénateur et qui prône l'abolition de la Chambre haute depuis des années, qui, cette fois, se retrouve du côté de la vertu.

Et que fait Stephen Harper dans la tempête? Ce qu'il fait toujours, dans toutes les tempêtes: il l'ignore. Il refuse de commenter, il nie, il rejette toute forme de responsabilité et il multiplie les manoeuvres de diversion.

M. Harper fait du déni: il ne parle jamais du Sénat, il a enterré les projets de réforme et il ne nomme même plus de sénateurs (il y a actuellement 20 postes vacants au Sénat, sur 105, et 6 sénateurs indépendants).

Comme si le Sénat, et tous ses problèmes, allaient disparaître d'eux-mêmes. En attendant, les 50 sénateurs conservateurs qui ne font pas l'objet d'une enquête, ne sont pas en procès, suspendus ou en retrait se présentent comme si de rien n'était chaque semaine au caucus de M. Harper.

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