L'automne dernier, des mois avant le début officiel de la course à la succession de Pauline Marois, un militant péquiste de longue date, membre de l'exécutif de Marie-Victorin, est allé voir son député, Bernard Drainville, pour lui dire qu'il l'aimait bien, mais qu'il appuierait Pierre Karl Péladeau parce qu'il voulait voir le pays de son vivant.

Au passage, ce vieux routier du PQ prévenait aussi son député: «Magane-le pas trop, on en a besoin!»

Très tôt, M. Drainville a compris que son collègue de Saint-Jérôme était devenu un intouchable pour bien des militants péquistes, surtout parmi les plus âgés, convaincus d'avoir enfin trouvé leur faiseur de pays. En voyant les militants grimacer et se tortiller sur leur chaise chaque fois qu'il osait, dans ses discours, critiquer PKP, Bernard Drainville a compris que cette campagne serait ardue, mais il a décidé de plonger quand même.

Il est parti bon deuxième, mais la bonne performance d'Alexandre Cloutier l'a fait glisser au troisième rang, ce qui aurait été une véritable gifle. Selon le résultat de certaines opérations de pointage menées au cours des derniers jours, il semble en effet que M. Drainville était troisième dans plusieurs au général, et même quatrième dans quelques circonscriptions.

Jeudi dernier, au débat de Québec, il s'était montré très combattif, quitte à déplaire aux militants qui l'avaient mis en garde de ne pas attaquer leur favori. On comprend aujourd'hui qu'il a joué son va-tout, qu'il a tenté le «Hail Mary», cette passe désespérée en fin de match, au football, dont le pourcentage de réussite est à peu près nulle.

Pourtant, quelques jours plus tôt, Bernard Drainville se disait plus déterminé que jamais, affirmant en entrevue que tout ce qui ne l'avait pas tué en politique (la charte de la laïcité, notamment) l'avait rendu plus fort.

«Je me suis lancé, notamment, pour mes enfants, qui me disaient: Papa, tu as ça en toi, tu veux faire cette campagne et tu nous dis toujours de ne pas lâcher, d'aller jusqu'au bout, alors, tu dois y aller», me confiait-il ce jour-là en entrevue.

Homme de famille, Bernard Drainville m'avait aussi parlé de son père, qui craignait de voir son fils se faire «maganer» dans cette course. De toute évidence, il a décidé qu'il serait moins «magané» en se retirant de cette course plutôt que de risquer de finir troisième. Perdre contre le favori incontesté, c'est une chose, mais se faire déclasser par un négligé, par un candidat moins connu et moins populaire, c'est autrement plus humiliant. Au Parti libéral, en 2013, Raymond Bachand ne s'était jamais remis d'avoir fini troisième, derrière Philippe Couillard et Pierre Moreau.

Le recrutement de nouveaux membres dans la présente course a été, de l'aveu même des candidats en lice, décevant. «On recrute un peu, mais vraiment pas autant qu'on devrait», m'a confié récemment Martine Ouellet. Pierre Céré, lui, m'a dit sans détour: «Le recrutement est difficile, surtout chez les jeunes, où c'est catastrophique».

Selon les chiffres obtenus ces derniers jours, le nombre total de membres est passé de 50 000 à 70 000, soit une augmentation de 20 000, bien loin des 140 000 membres de 2005.

Un proche de M. Péladeau a déclaré dernièrement que la campagne PKP2015 avait vendu 10 000 nouvelles cartes de membre, mais ses adversaires contestent cette déclaration.

Même dans les circonscriptions des députés candidats, la vente de cartes de membre a été famélique, sauf dans Lac-Saint-Jean, fief d'Alexandre Cloutier. Ce dernier a plus que triplé le nombre de membres depuis février, passant de 739 à 2640. Dans Saint-Jérôme, PKP a presque doublé son contingent de membres (de 495 à 998), mais les résultats sont très décevants pour Martine Ouellet (de 500 à 736) et Bernard Drainville (de 423 à 688).

En jetant l'éponge maintenant, M. Drainville évite une gifle prévisible et cela lui aura permis, au surplus, d'obtenir quelques concessions de Pierre Karl Péladeau (consultation des membres du PQ sur la tenue d'un référendum dans le prochain mandat six mois avant le scrutin et projet de loi contre l'appauvrissement des employés de la fonction publique). Il ne l'a toutefois pas convaincu, apparemment, d'utiliser des fonds publics, une fois au pouvoir, pour promouvoir la souveraineté, une priorité pour M. Drainville dans sa défunte course à la direction du PQ. À maintes reprises, pendant les débats, il a demandé à PKP de se commettre là-dessus, sans succès. Il n'y est pas parvenu davantage après sa reddition.

Reste donc PKP, Alexandre Cloutier, Martine Ouellet et Pierre Céré. L'issue, qui était déjà décidée, ne fait maintenant plus aucun doute. Pour Alexandre Cloutier, toutefois, le retrait de Bernard Drainville est plutôt une bonne nouvelle. Cela confirme son statut de deuxième et comme vous le constaterez dans notre sondage, un deuxième plutôt compétitif. M. Cloutier devient de facto le «chef en réserve» du PQ. Au cas où...

Maintenant qu'il a la voie libre, M. Péladeau voudra sans doute «closer», comme on dit dans le monde des affaires. Le clan Péladeau travaille sur un gros coup depuis quelques jours: 101 personnalités pour PKP, avec un gros spectacle (surtout musical) à Montréal le 8 mai, précédé d'une vidéo montrant les nombreux appuis. Selon mes informations, plusieurs artistes résistent toutefois à s'y joindre, malgré la très lourde insistance de la conjointe de M. Péladeau, Julie Snyder.