Même en fouillant dans mes souvenirs politiques ou en faisant preuve d'une imagination débordante, cette fois, je n'y arriverai pas seul. Pour décrire la plus récente pirouette sophistique de Jean-Marc Fournier, je vais devoir emprunter quelques termes techniques à Alain Goldberg, grand vulgarisateur des triples vrilles et autres boucles piqués lors des compétitions de patinage artistique.

Le recours au bâillon, même s'il est plus fréquent qu'on pense et même s'il est permis par les règles parlementaires, n'est jamais un moment glorieux pour un gouvernement. Il l'adopte en vitesse, accusant les partis de l'opposition de faire de l'obstruction systématique. Il se garde toutefois de parler du caractère antidémocratique de la manoeuvre, ce qui est comme le proverbial éléphant dans la pièce. Ou, dans ce cas-ci, le mammouth dans la pièce, le surnom qu'on donne aux projets de loi qui renferment (et cachent, parfois) de nombreuses dispositions éparses qui seront toutes adoptées en même temps sous le coup du bâillon.

À l'Assemblée nationale, le Parti québécois a accusé le gouvernement Couillard d'importer la méthode Harper à Québec et la Coalition avenir Québec a affirmé que ce bâillon est une honte.

Une honte, dites-vous? Mais pas du tout, a rétorqué tout de go le leader parlementaire libéral, Jean-Marc Fournier, qui y voit au contraire un geste nécessaire dicté par le respect élémentaire de la démocratie.

«Je tiens à le dire que c'est sans honte que nous le faisons, parce qu'il n'y a pas lieu d'invoquer un élément de honte lorsque ce que nous faisons, c'est de nous assurer, par des décisions qui ne sont pas toujours faciles, de nous assurer d'avoir un budget en équilibre, donc d'éviter de passer des dettes à nos enfants. Revenons à la finalité démocratique. Si on avait proposé qu'il n'y ait pas d'équilibre cette année, on pourrait toujours le soulever, mais on s'est engagés électoralement à l'atteindre cette année. Donc, moi, je pense qu'on est directement dans le fil démocratique.»

Vous suivez? C'est simple: le Parti libéral, nous dit M. Fournier, s'est engagé en campagne électorale à retrouver l'équilibre budgétaire cette année, donc il prend les moyens, y compris le bâillon, pour respecter cet engagement.

En théorie, ça se tient. Ce que Jean-Marc Fournier ne dit pas, toutefois, c'est que la majorité des mesures incluses dans le projet de loi 28, et qui permettront d'atteindre le déficit zéro, ne faisaient pas partie des engagements du PLQ lors de la campagne électorale du printemps 2014. À commencer par la modulation des frais de garde en fonction des revenus des parents, un lapin sorti du chapeau libéral après les élections (le PLQ promettait simplement l'indexation des frais de garde). Cette seule mesure, la plus importante, devrait rapporter 193 millions par année au gouvernement. Dire aujourd'hui qu'il faut l'adopter, parmi d'autres, sous le bâillon au nom de l'engagement de rétablir l'équilibre budgétaire, c'est toute une pirouette. Jean-Marc Fournier nous a habitués, au fil des années, à un niveau très élevé de rhétorique partisane à l'Assemblée nationale et à des dérobades recherchées, mais il atteint ici un sommet dans l'acrobatie intellectuelle.

La modulation des tarifs de CPE, qui se traduira par une hausse pouvant dépasser 12$ par jour pour certaines familles plus «riches», n'est pas la seule mesure comprise dans le «petit mammouth» dont il n'a pas été question en campagne électorale. L'abolition des conférences régionales des élus (CRE) et des centres locaux de développement (CLD) est aussi apparue après les élections du 7 avril 2014.

Ce gouvernement, on le sait, est très pressé de ramener l'équilibre budgétaire. Il aurait pu, cela dit, repousser d'un an cet objectif sans risquer de voir le Québec rejoindre la Grèce dans le coin des cancres. Le gouvernement Harper, qui n'est certainement pas moins dogmatique que celui de M. Couillard sur les questions de finances publiques, a fait le choix, il y a quelques années, de se donner plus de temps. Le Canada n'a pas fait faillite et les conservateurs ont même pu réaliser leurs principaux engagements, comme le fractionnement des revenus et la hausse de l'aide financière aux familles avec enfants mineurs.

Dans une entrevue au Journal de Québec, la fin de semaine dernière, le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, réaffirmait sa volonté d'agir vite et fermement. Il veut, dit-il, freiner «la machine à dépenser» qu'est le gouvernement.

«Ceux qui parlent d'austérité sont des gens qui disent: «Remettons ça à plus tard.» Et, souvent, plus tard, ça veut dire jamais», a-t-il dit.

C'est clair et direct. Intraitable, même. Comme le bâillon. Pourrait-on, alors, nous épargner les sophismes ronflants sur les vertus démocratiques de gestes autocratiques qui vont, au contraire, à l'encontre de la démocratie?