Selon la petite histoire, John Baird a décidé de devenir militant conservateur très jeune, dans les années 80, après avoir été arrêté pour avoir invectivé le premier ministre libéral de l'Ontario, David Peterson, dans un centre commercial. Homme convaincu et obstiné, il n'a cessé, depuis, d'accabler ses adversaires libéraux.

À l'époque de l'incident avec David Peterson, le jeune Baird en voulait aux libéraux de s'opposer à l'accord de libre-échange avec les États-Unis défendu par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney. Ça aussi, c'est devenu et c'est resté une marque de commerce de M. Baird: épouser la cause et les positions conservatrices et ne jamais s'en détourner.

Servir son chef avec fougue et volontarisme, voilà un trait de caractère qui aura permis à John Baird de gravir les échelons et de devenir très tôt ministre, d'abord dans le gouvernement provincial de Mike Harris, puis à Ottawa, sous Stephen Harper. Il quitte la politique à 45 ans après avoir occupé une dizaine de postes de ministre différents et après 20 ans comme député. Qu'on apprécie ou non ses prises de position parfois tranchantes ou le caractère de pitbull qui a fait de lui un des députés les plus partisans aux Communes, son bilan est impressionnant.

Entré au gouvernement Harper dès son arrivée au pouvoir, en 2006, John Baird y a occupé les postes de président du Conseil du Trésor, ministre de l'Environnement, des Infrastructures, des Transports et, depuis 2011, des Affaires étrangères. Il a aussi été leader parlementaire, un poste naturel pour un tel bagarreur.

À l'Environnement, c'est lui qui a jeté les dernières pelletées de terre sur le protocole de Kyoto. M. Baird avait alors affirmé que Kyoto était une «patente risquée et irréfléchie» («risky, reckless scheme») qui provoquerait une récession et ferait perdre 275 000 emplois au Canada. (Pour la petite histoire, le Canada n'a pas donné suite à son engagement dans Kyoto, ce qui n'a pas empêché le pays d'être frappé durement par la crise économique et la récession et de perdre des centaines de milliers d'emplois...)

Aux Affaires étrangères, M. Baird a maintenu sans jamais bifurquer d'un centimètre la position très pro-israélienne du gouvernement Harper. En 2014, il a même profité d'un passage à l'ONU pour pourfendre les critiques qui reprochaient à Israël d'avoir fait usage d'une force déraisonnable à Gaza.

À Queen's Park aussi, M. Baird a fidèlement exécuté les ordres de Mike Harris d'abord, notamment comme ministre des Affaires francophones, puis de son successeur, Ernie Eves.

La communauté francophone d'Ottawa et même le gouvernement libéral fédéral de Jean Chrétien lui avaient reproché, à la fin des années 90, de ne rien faire pour sauver l'hôpital francophone Montfort ou pour assurer le statut bilingue de la capitale fédérale. Le chef libéral provincial, Dalton McGuinty, qui allait devenir premier ministre quelques années plus tard, avait même accusé John Baird d'être le «Judas Iscariote des francophones», parce qu'il avait refusé d'appuyer la recommandation de désigner officiellement bilingue la nouvelle ville d'Ottawa fusionnée.

Lorsque Stephen Harper a nommé John Baird au poste délicat de ministre des Affaires étrangères en 2011, j'ai, comme plusieurs autres, sursauté. J'avais d'ailleurs écrit à l'époque que M. Baird était davantage connu pour son attitude belliqueuse et partisane que pour ses aptitudes diplomatiques. Je dois reconnaître aujourd'hui que l'habit, dans ce cas, a fait le moine et que John Baird a su «élever un peu son jeu», comme disent les analystes de hockey.

Il faut dire que derrière son personnage à la Chambre des communes de pitbull ultrapartisan, moqueur et parfois même sournois, John Baird était un député apprécié, en privé, par ses pairs. Gilles Duceppe, notamment, m'a déjà raconté qu'il s'entendait fort bien avec M. Baird et qu'il aimait bien échanger avec lui.

Depuis quelques années, John Baird était régulièrement l'accompagnateur de Laureen Harper, la femme du premier ministre, dans des événements mondains à Ottawa. «Il paraît bien dans un smoking et il est très drôle», a-t-elle déjà dit de lui.

Mme Harper perd son compagnon de sortie, mais le Parti conservateur perd un de ses ministres les plus connus, les plus populaires et les plus doués à huit mois des élections. C'est aussi un député de la région d'Ottawa, une région traditionnellement plus favorable aux libéraux. Personne n'est irremplaçable, bien sûr, mais certains morceaux laissent, après leur départ, un trou plus grand.

Selon un décompte fait par le Toronto Star, M. Baird est le 25e député conservateur à annoncer qu'il ne se représentera pas au scrutin d'octobre.

M. Baird a-t-il, comme il le laisse entendre, fait le tour du jardin et veut-il simplement, après 20 ans, faire autre chose? Possible, mais peut-être est-il aussi arrivé à la conclusion que les belles années des conservateurs à Ottawa sont derrière eux et qu'il est temps d'«ouvrir un nouveau chapitre».

M. Harper doit sans doute espérer que le départ de son ministre des Affaires étrangères n'inspire pas d'autres collègues du cabinet.