Il y a eu le Collège Dawson, en 2006, l'Université Concordia en 1992 et puis, il y a 25 ans, Polytechnique. On aurait pu croire, après ces trois drames épouvantables, et plus de deux décennies de débats, que l'acquisition d'une arme à feu au Canada deviendrait nécessairement plus difficile.

On aurait pu croire que la voix des militants pour un plus grand contrôle des armes à feu serait entendue avec force à Ottawa et qu'elle forcerait des changements législatifs majeurs.

Ce fut le cas, en effet, dans les années suivant la tuerie de Poly, mais chacune des victoires de ces militants a été durement arrachée, et elles n'ont pas toutes débouché sur de réels changements durables.

Depuis près de 10 ans, on assiste plutôt à un recul spectaculaire des mesures de contrôle et de sécurité imposées par le gouvernement fédéral aux propriétaires d'armes à feu.

Les conservateurs, au pouvoir depuis 2006 (majoritaires depuis 2011), n'ont jamais caché leur côté très libertarien en matière de possession d'arme et leur dégoût pour des mesures comme le registre des armes à feu.

Ainsi, dans sa refonte de 2012 de la Loi sur les armes à feu, le gouvernement Harper a profité de sa majorité pour compléter la déconstruction du cadre légal mis en place par les différents gouvernements, non seulement depuis 25 ans, mais depuis les années 70.

On connaît, évidemment, le combat acharné du gouvernement Harper contre le registre des armes à feu, créé par le gouvernement Chrétien dans la foulée du massacre de Polytechnique. Le registre a disparu pour les armes d'épaule, et la survie des données du Québec, réclamées par le gouvernement québécois, est entre les mains de la Cour suprême.

Les conservateurs ont toujours été opposés à l'enregistrement obligatoire (et aux sanctions imposées aux fautifs) des armes des chasseurs, des tireurs sportifs et des collectionneurs. Le fait que les coûts du registre ont explosé sous les libéraux n'a fait que donner des munitions aux conservateurs.

Vue comme un fléau social par certains, l'acquisition d'armes à feu par les chasseurs, par les fermiers et par les tireurs sportifs est perçue comme un enjeu électoral primordial par les conservateurs.

Le sujet embête aussi les autres partis. Le Nouveau Parti démocratique s'était déchiré en 2012 lors du vote sur l'abolition du registre, et les libéraux ont répété la semaine dernière qu'ils n'avaient pas l'intention de le réinstaurer s'ils prennent le pouvoir.

La réforme de 2012, en plus d'éliminer l'enregistrement des ventes d'armes non restreintes mis en place depuis 1977 et d'effacer les données sur les 7,1 millions de carabines et de fusils, rend volontaire la vérification de la validité du permis d'armes de l'acheteur.

Le gouvernement fédéral a aussi décidé d'amnistier les propriétaires d'armes de chasse qui ont omis de renouveler leur enregistrement, et ce, même si des provinces, dont le Québec, réclament le maintien de l'enregistrement.

Insensible aux pressions du Québec et des groupes de victimes (de Polytechnique, notamment), le gouvernement Harper a également fait fi de l'opinion des principaux corps de police du Canada, qui affirment que le registre est un outil indispensable à leur travail.

Les conservateurs ont aussi contourné l'avis de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), autorisant les fusils Swiss Arms Classic Green, qui peuvent pourtant, selon la police fédérale, être facilement convertis en armes automatiques. De triste mémoire, c'est avec cette arme que Kimver Gill a tué et blessé des élèves du Collège Dawson en 2006.

Sur son site internet et dans ses communications officielles, le Parti conservateur du Canada (PCC) se présente sans complexe comme le seul défenseur des propriétaires d'armes à feu. Le PCC se sert même régulièrement de cet enjeu pour inciter ses militants à contribuer à la caisse électorale.

Dans un communiqué publié en février 2014, le ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, se disait «troublé d'apprendre que des bureaucrates non élus ont décidé d'interdire certaines armes importées de Suisse».

Il ajoutait: «Je peux vous assurer que je ne laisserai pas d'honnêtes propriétaires d'armes à feu subir les conséquences de cette situation. [...] Je vais aussi prendre des mesures pour assurer que cela ne se reproduise plus jamais. Les actes de ces bureaucrates sont tout à fait inacceptables et je vais annoncer des mesures concrètes au cours des prochains jours. Notre gouvernement conservateur est de votre côté et va toujours défendre les droits des honnêtes propriétaires d'armes à feu.»

Un quart de siècle après Polytechnique, la longue bataille des partisans d'une plus grande surveillance des armes à feu semble inévitablement perdue au Canada. C'est très clair avec les conservateurs, mais les autres partis fédéraux sont aussi très frileux sur cette question, sachant fort bien que dans un pays de chasseurs, on perd des votes plus qu'on en gagne avec un registre obligatoire des armes à feu.