Lorsqu'il a pris la parole aux Communes, jeudi matin, au lendemain de la fusillade dont les murs de pierre du Parlement portent les marques, Stephen Harper a agréablement surpris tous ceux qui le connaissent depuis longtemps par son empathie, sa sensibilité et même, oserais-je dire, une certaine douceur.

Rien à voir, en tout cas, avec le Stephen Harper froid, distant et cassant qu'on connaît. Je n'ai jamais douté que le premier ministre puisse avoir des sentiments, mais disons qu'il ne les affiche pas souvent.

De toute évidence, les événements de cette folle semaine ont secoué nos élus. Nous avons même assisté à de rares et touchants moments de fraternité entre tous les parlementaires. Particulièrement entre Stephen Harper, Thomas Mulcair et Justin Trudeau.

Ça ne durera pas, n'ayez crainte, nos députés fédéraux ne sont pas devenus des apôtres de l'Amour infini et les débats, marqués par d'inévitables débordements, reprendront dès la semaine prochaine. C'est très bien ainsi, d'ailleurs, parce qu'après ce choc, le Parlement sera appelé à donner une réponse législative aux attaques récentes contre des institutions canadiennes.

Tout le monde sait que l'émotion, la crainte et la précipitation sont toujours mauvaises conseillères. La partisanerie aussi. Il serait sage de prendre un ou deux pas de recul sur les événements. D'autant que nous ne sommes pas dans ce pays, comme d'autres l'ont justement rappelé ces derniers jours, devant le néant législatif. Des lois existent déjà, la police dispose déjà de certains moyens et sans vouloir minimiser la gravité des gestes commis à Saint-Jean-sur-Richelieu et Ottawa, nous ne sommes tout de même pas devant une machination à grande échelle menée par des dizaines d'individus et orchestrée par une organisation terroriste internationale.

J'insiste (avant que vous ne vous précipitiez à votre clavier pour me traiter de naïf par courriel): ce qui s'est passé cette semaine est extrêmement grave, mais cela ne devrait pas nous empêcher de nous poser quelques questions et de savoir faire la différence entre motivation idéologique exaltée et maladie mentale.

M. Harper insiste lourdement depuis quelques jours pour dire que le Canada est attaqué par des terroristes, mais son ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, semblait avoir une autre version, hier matin, en entrevue au 93,3 FM de Québec. Il a invité les auditeurs à porter du rouge, hier. «C'est pour dire, excusez l'expression, qu'on ne va pas se coucher devant les cabochons!», a expliqué M. Blaney. «Cabochons»? Il me semble que nous nous éloignons de l'image du terroriste entraîné qui exécute un plan méticuleusement préparé.

Dans les derniers jours, nous avons beaucoup entendu les policiers, les spécialistes de la sécurité et les politiciens. Je suggère qu'on écoute aussi les psychiatres, dont l'excellent Gilles Chamberland, qui a donné une entrevue éclairante, jeudi matin, chez Catherine Perrin.

En gros, dit le Dr Chamberland, si c'est du terrorisme, la médecine n'y peut rien. Si c'est, du moins en partie, de la maladie mentale, aggravée par l'endoctrinement, il existe des traitements. Je ne sais pas si un psychiatre aurait pu stopper Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf Bibeau dans leur course morbide, mais chose certaine, la surveillance de la police, les rencontres et le retrait de leur passeport n'auront pas suffi.

Nous ne parlerons pas, toutefois, de psychiatrie dans les prochains jours aux Communes. Nous parlerons de durcissement des lois et de pouvoirs accrus au Service canadien de renseignement de sécurité. Les actes meurtriers de cette semaine réclament une réponse politique, cela va de soi, mais tout est dans la mesure, dans l'équilibre. Mesure et équilibre ne riment toutefois pas toujours avec intérêt partisan et atmosphère préélectorale.

Je ne doute pas une seconde que les conservateurs veuillent assurer la sécurité des Canadiens, mais l'empressement de Stephen Harper à vouloir modifier des lois aussi importantes en réponse aux «attaques terroristes» dégage de forts relents électoralistes. Nous sommes à un an des prochaines élections et l'obsession de la loi et de l'ordre des conservateurs est bien connue. En outre, le dédain notoire des conservateurs pour la Charte des droits et libertés pourrait les inciter à pousser le bouchon sécuritaire encore plus loin au nom de la lutte contre le terrorisme.

Dans un tel débat, inévitable au cours des prochaines semaines, le positionnement des partis de l'opposition pourrait être déterminant lors de la prochaine campagne électorale.

Sujet délicat que la surveillance des citoyens. Souvenez-vous de Barack Obama, qui avait promis que les Américains ne seraient jamais espionnés par son gouvernement avant que ceux-ci n'apprennent que la NSA avait le nez fourré jusque dans leur boîte de courriels!

À Ottawa, néo-démocrates et libéraux ne voudront certainement pas donner l'impression d'être mous, surtout pas après cette attaque à la porte de leurs bureaux.

Le test est particulièrement important pour Justin Trudeau, qui ne peut se permettre, cette fois, de tergiverser sur la question cruciale de l'équilibre entre sécurité de l'État et protection des droits et libertés des individus. Trop se coller sur la ligne dure des conservateurs, c'est risquer de se couper d'une partie importante de la base libérale. Vouloir trop adoucir le futur projet de loi sur les renseignements de sécurité, c'est avoir l'air faible. Équilibre, disais-je.

Traditionnellement, les libéraux se sont toujours présentés comme les gardiens des droits et libertés. La Charte, c'est Pierre Elliott Trudeau, le père de Justin, qui l'a fait adopter.

Oups, mauvais timing!

Courriel d'un lecteur reçu hier: «Hier soir [mercredi] j'ai reçu un téléphone d'un monsieur identifie au Parti conservateur me demandant si j'appuierai le parti à la prochaine élection. Je lui ai dit que c'était beaucoup trop loin pour faire une telle promesse. Il m'a répondu que souvent les événements font changer des choses. Il m'a remercié et m'a souhaité bonne soirée. Je trouve ça bizarre.»

Pas moi. Pas tant que ça.