Parmi les règles d'or en politique, il y en a une qui dit qu'il ne faut jamais répondre aux questions hypothétiques.

Tout bon politicien le sait, mais quand l'«hypothétique» touche la sécession du Québec du Canada et que celle-ci est passée à quelques dizaines de milliers de voix de se réaliser, difficile de se défiler.

Près de 20 ans après le référendum de 1995, les collègues Chantal Hébert et Jean Lapierre ont «confessé» une brochette d'acteurs de cet évènement ô combien dramatique avec, pour prémisse, une question toute simple: Et si le Oui avait gagné?

Cela donne Confessions post-référendaires, les acteurs politiques de 1995 et le scénario d'un Oui (Éditions de l'Homme), qui sort en librairie demain, un recueil de 18 témoignages sur les plans (en fait, le plus souvent, sur l'absence de plan!), les angoisses, les espoirs, les frustrations et parfois aussi l'impuissance des leaders du Oui, du Non et des premiers ministres du ROC.

Lorsque Chantal Hébert et Jean Lapierre ont rencontré Daniel Johnson, chef du PLQ et chef du camp du Non en 1995, celui-ci leur a dit ne pas comprendre ce qu'ils faisaient là puisque tout avait été dit et écrit sur cet épisode marquant de l'histoire récente.

Tout a été dit et écrit? Apparemment, non. Je suis persuadé que Daniel Johnson, comme nous tous, apprendra un certain nombre de choses pas banales du tout dans ce bouquin. Par exemple, que Jean Chrétien, sous les airs nonchalants caractéristiques de sa personnalité publique, avait envisagé la défaite et avait appelé Frank McKenna, ex-premier ministre du Nouveau-Brunswick, pour lui demander de participer à un gouvernement (de crise) d'unité nationale.

Ou que l'ex-premier ministre de la Saskatchewan, Roy Romanow, vieil allié de Jean Chrétien, avait fait préparer par ses fonctionnaires une série d'options si le Québec quittait la fédération canadienne, y compris rejoindre les États-Unis! «Dans l'éventualité d'un Oui, il est évident qu'il aurait fallu examiner toutes les options. Est-ce que quitter la fédération aurait été l'approche privilégiée? À un moment donné, on aurait été obligés de faire un choix. Nous y étions préparés. La documentation existe. Nous n'avions pas pris de décision ferme. Je pense que nous espérions, en dépit de tout, que les choses s'arrangeraient comme elles se sont arrangées», a confié M. Romanow aux auteurs.

Pendant la campagne référendaire de 1995, les ténors du Non ont répété ad nauseam qu'un Oui provoquerait le chaos au Québec. Il semble, à en croire Preston Manning, que l'onde chaotique aurait aussi frappé Ottawa de plein fouet. L'ancien chef du Reform Party, qui était alors chef de l'opposition officielle, révèle en effet qu'il aurait exigé la démission immédiate de Jean Chrétien, quitte à paralyser le Parlement et à organiser un nouveau front politique dominé par l'Ouest. Pour Manning, Oui = exit Québec = nouvel ordre politique canadien.

Pour le chef réformiste, au moins c'était clair. Idem pour Jacques Parizeau, qui n'avait pas l'intention de perdre beaucoup de temps à négocier avant de déclarer l'indépendance du Québec. Pour Preston Manning comme pour Jacques Parizeau, un Oui signifiait le départ du Québec.

Pour les autres protagonistes interviewés, y compris Lucien Bouchard et Mario Dumont, la signification d'un Oui était plus floue. MM. Bouchard et Dumont y voyaient un tremplin, un nouveau rapport de force permettant de forcer la main du fédéral. Certainement pas un ticket aller simple vers l'indépendance, mais ils ne faisaient pas confiance à Jacques Parizeau. L'une des plus grandes préoccupations de MM. Bouchard et Dumont, en fin de campagne, était de «freiner le bonhomme» après un Oui, selon l'expression de l'ancien chef adéquiste.

Des propos de Jacques Parizeau dans le bouquin, on retient en effet qu'il était beaucoup plus pressé que ses alliés et que le titre de «négociateur en chef» donné à Lucien Bouchard pendant la campagne était purement symbolique. Un outil électoraliste très payant en fin de campagne, qui mettait le populaire Lucien Bouchard à l'avant, mais qui ne reposait sur rien de concret.

Du côté d'Ottawa, Jean Chrétien minimise, sans surprise, l'état de panique qui a gagné la capitale fédérale dans les jours précédant le vote: «Je ne suis pas le genre à me casser la tête avec des problèmes que je n'ai pas. On aurait avisé plus tard», dit-il à Chantal Hébert.

Il cache son jeu sur ses véritables options advenant une victoire du Oui, mais on comprend entre les lignes qu'il avait quelques cartes: ne pas reconnaître une victoire à l'arraché du Oui, attendre que le spectre de la partition et des négociations avec les autochtones minent la démarche souverainiste. Il envisageait aussi une guerre d'usure: un refus de négocier avec Québec aurait refroidi la communauté internationale et créé une angoissante incertitude au Québec.

Au fil de leurs entrevues, les auteurs ont été surpris de constater à quel point les principaux acteurs de ce psychodrame politique, outre Jacques Parizeau et Preston Manning, volaient à vue dans la purée de pois. On sent, en effet, la confusion, l'improvisation, le manque de cohésion des forces en présence et parfois même la panique dans le récit des protagonistes.

On sent aussi, et c'est une des grandes qualités de ce livre, le jeu des gros ego, les manoeuvres en coulisses, le manque de communication et la méfiance, autant entre les camps du Oui et du Non qu'au sein même des camps. Par moments, on se croirait au sénat romain à l'époque de Jules César!

Confessions post-référendaires repose sur une question hypothétique, mais la grande joute politique qu'on y décrit est, elle, bien réelle.