Déjà que je n'étais pas sûr d'avoir grand-chose à raconter lorsque, comme mes collègues chroniqueurs, j'ai accepté de partager mes souvenirs de vacances d'été, le doute a fait place à une légère honte lorsque j'ai lu la recension de leurs moments initiatiques mémorables.

Moi, les étés de mon enfance? Rien. Comme dans rien. Il ne se passait rien, mais en même temps on faisait plein de trucs. C'est juste que c'est plate, pour vous, de lire les souvenirs de baseball entre p'tits gars sur un terrain desséché par la canicule dans un quartier sans histoire de Granby. Moi, toutefois, j'en garde un excellent souvenir.

Les vacances, à l'époque, n'étaient pas aussi organisées qu'elles le sont aujourd'hui. En tout cas, pas chez moi. L'été, on jouait. Dehors, au hockey-balle dans la rue ou au baseball sur le terrain à côté de l'école primaire, ou quelquefois dans un parc, plus loin, où nous allions sur nos Sekine 10 vitesses. Parfois, on arrivait à squatter la piscine d'un voisin pour se rafraîchir.

Les jours de pluie, on s'installait, mon frère et moi, dans la véranda et on jouait au Scrabble. Je ne sais pas combien de centaines de parties de Scrabble nous avons pu jouer, Olivier et moi. Je sais par contre que c'est là, et dans les livres que je lisais sur cette véranda, que j'ai acquis le goût des mots. Un été, je me suis farci Le parrain, un exploit dont je n'étais pas peu fier, même si cette lecture n'était pas vraiment appropriée pour un enfant de 11 ans.

À l'époque, on s'organisait. On meublait le temps. C'était avant les CPE, innovation sociale admirable, qui a néanmoins créé une génération de petits «organisés» qui revendiquent des «activités» comme si c'était un droit constitutionnel et qui pensent que même l'endroit réservé aux punitions doit avoir un nom comme «le coin-silence» ou «la chaise-nuage».

Un été, il y a quelques années, nous étions à Cape Cod avec les deux enfants. La première journée, j'ai fait la navette dans les 92 marches de l'escalier en bois qui menait à la plage pour installer l'attirail de plage, y compris les nombreux jouets. Satisfait, je me suis assis sous le parasol. Ma fille, qui devait avoir 5 ou 6 ans, s'est plantée devant moi, les mains sur les hanches, et m'a demandé très sérieusement: «Bon, c'est quoi, l'activité?»

L'activité? Merde! J'ai oublié le cahier d'activités! Blague à part, dans mon temps, nous n'étions pas aussi exigeants dans l'organisation de nos moments libres. C'est peut-être pour ça que mes souvenirs sont si... ordinaires. Faudra voir ce que mes enfants, une fois adultes, auront retenu de leurs étés, mais disons qu'ils auront une base de données plus garnie et plus riche que la mienne.

En fouillant dans les parties ensoleillées de mon disque dur, il y a bien un souvenir d'été qui s'impose. Une petite chose dans un bol: ma première pêche Melba, une découverte extraordinaire faite sur la terrasse d'un café à Toulouse, avec mon grand-père, ma mère et mon frère.

Dans le même rayon (souvenirs d'été, section fruits, France 1976): la fois où nous avions mangé, mon frère, nos cousines et moi, presque tous les abricots directement de l'arbre, chez une de mes tantes. Les fruits chauffés par le soleil qui fondaient dans la bouche...

Bien sûr, la tour Eiffel, les bateaux-mouches sur la Seine, le tombeau de Napoléon, la Défense et les innombrables crottes de chiens sur les trottoirs m'avaient bien impressionné, mais pas autant, je crois, que la pêche et les abricots. Il y avait eu, aussi, la traversée de l'Atlantique dans un Boeing 747 d'Air Canada au cours de laquelle j'ai testé à de nombreuses reprises l'efficacité des fameux «sacs pour le mal de l'air». L'arrivée à Orly avait été à l'avenant. Toujours nauséeux même sur la terre ferme, j'ai couru comme un dératé dans ces impressionnants tapis roulants dans les tubes de verre jusqu'aux premières toilettes disponibles, sous les yeux scandalisés de la dame-pipi, que je n'avais évidemment pas payée!

C'est la seule fois que j'ai voyagé en avion avec mes parents. Et l'une des rares fois que nous avons quitté le Québec pour les vacances. Classe moyenne, deux parents au travail, six enfants, le temps et les sous pour les vacances exotiques manquaient.

Désolé si je n'ai rien d'extraordinaire à vous raconter, mais n'allez surtout pas croire que j'étais malheureux ou démuni. Au contraire, je garde de mes étés d'enfance le souvenir de ces moments bénis où nous avions le temps de ne rien faire.

J'en reprendrais bien un peu. Du temps pour ne rien faire. Et une pêche Melba...

P.-S.: Merci à notre voisin de l'époque, M. LeSieur, pour la photo (et pour la piscine!).