Depuis une dizaine de jours, on sent clairement la stupeur chez les péquistes et les caquistes devant la tournure de cette campagne électorale. «Vous n'allez tout de même pas élire de nouveau les libéraux, après toutes ces allégations touchant le gouvernement Charest?», disent-ils en choeur, visiblement dépassés par les événements.

Je me garderai bien de prédire le résultat de cette course, mais le simple fait que le PLQ soit encore compétitif après une fin de règne aussi difficile est, en soi, un développement étonnant. S'ils devaient, en effet, se retrouver au pouvoir lundi prochain, le purgatoire des libéraux aura été de très courte durée.

Étonnant, à première vue, mais en fait, la bonne fortune des libéraux en dit plus sur les faiblesses et les erreurs stratégiques de leurs principaux opposants. Les chambardements de stratégies, au PQ en particulier, en disent long sur le parcours sinueux des campagnes.

Au départ, le PQ voulait parler d'économie et d'emplois. En plus du ministre des Finances, Nicolas Marceau, des candidats de qualité, dont Pierre Karl Péladeau et Simon Prévost, venaient renforcer l'équipe économique.

Mais la confusion a vite remplacé la planification. À bien y penser, je me demande si Pauline Marois n'a pas manqué sa meilleure occasion de planter elle-même le décor de cette campagne et d'imposer dès le début son thème en refusant de tenir un point de presse le jour du déclenchement. Au lieu de ça, elle a tenu le lendemain un interminable point de presse qui tirait dans toutes les directions.

Mode d'emploi électoral: prenez un thème, habillez-le de slogans simples et efficaces, répétez. On rit bien des «deux mains sur le volant» de Jean Charest en 2008, mais rappelez-vous le résultat.

Vrai, l'arrivée de PKP et sa profession de foi souverainiste passionnée n'a pas aidé les stratèges péquistes à garder le cap, mais il aurait alors fallu ramer plus fort pour revenir dans le corridor économique plutôt que de se laisser dériver vers l'identitaire, puis vers l'intégrité.

En théorie, l'intégrité, la transparence, l'éthique sont des sujets porteurs, mais encore faut-il être plus blanc que ses adversaires pour en tirer avantage. Or les histoires de prête-noms, de financement douteux, de paradis fiscaux ou de déclarations d'intérêts incomplètes éclaboussent équitablement le PQ et le PLQ dans cette campagne. Les coups bas, aussi, fusent de part et d'autre.

Par ailleurs, la défense de Mme Marois en la matière était plutôt faible. Elle a passé des jours à répéter qu'elle n'accepte pas qu'on compare l'éthique de son parti avec celle du PLQ. Et lorsque l'émission Enquête nous a appris qu'un ancien donateur dénonçait sous serment la pratique institutionnalisée des prête-noms au PQ auprès des firmes de génie-conseil, les péquistes ont crié à la vengeance d'entrepreneurs frustrés. Quand les libéraux disaient cela, on ne les croyait pas plus.

À cinq jours du vote, et apparemment en retard, un constat s'impose pour le PQ: Pauline Marois n'a jamais été capable de revenir au message fort de sa campagne: It's the economy, stupid! (l'économie, que l'économie), comme l'avait si bien dit James Carville, stratège de Bill Clinton.

Et la CAQ?

La CAQ aussi voulait jouer la carte de l'économie, mais le glissement vers le pré-débat référendaire a fait mal au parti de François Legault.

Pourtant, la CAQ pose (souvent) le bon diagnostic et prescrit des traitements crédibles (qu'on soit d'accord ou non). C'est la stratégie qui cloche.

François Legault a choisi de parler de remède de cheval plutôt que de parler d'espoir. À la longue, c'est lassant de se faire dire qu'on n'est pas assez bon, qu'on doit faire mieux.

Et puis, en suivant François Legault pendant la campagne, j'en suis venu à me demander si son timbre de voix, sa façon d'insister sur certaines syllabes («Les Québécois sont taaaaaaaaannés») ne nuisaient pas à la transmission de son message.

Le chef de la CAQ a, toutefois, mis le doigt sur plusieurs bobos sérieux de notre société, notamment le manque de ressources criant pour les élèves moins doués.

Philippe Couillard, lui, se débrouille, malgré toutes les attaques, mieux qu'on aurait pu croire pour un chef recrue. Cela dit, ce n'est tout de même pas Jean Charest ou Lucien Bouchard dans leurs belles années, et ses faux pas, sur le dossier de la langue et avec son cadre financier douteux, notamment, auraient dû servir davantage ses adversaires. Le bilan des années Charest aussi.

Il a fallu deux élections à Stephen Harper pour déloger les libéraux usés par le pouvoir et égratignés par le scandale des commandites. Une fois au pouvoir, il s'y est installé, obtenant même une majorité en 2012.

Au Québec, le PQ, qui a difficilement chassé les libéraux du pouvoir en 2012, lutte aujourd'hui pour se maintenir au pouvoir.

Entre les deux cas, une nuance de taille: la commission Gomery n'avait esquinté que les libéraux, tandis que dans la présente campagne, de révélation en révélation, de descente de police en rencontre avec l'UPAC, tout le monde en prend pour son rhume.

Les libéraux le savaient. Ils misaient même là-dessus, comme me l'avait confié une grosse pointure du PLQ avant le déclenchement.

Pas étonnant que plusieurs électeurs trouvent cette campagne déprimante.