Avant de se retrouver, contre son gré, dans l'actualité en raison de ses dépenses et de son salaire, Charles Lapointe avait volontairement fait parler de lui en 2007 en lançant un pavé dans la mare, affirmant à la tribune de la chambre de commerce que Montréal était une ville laide, sale et déglinguée.

Cette sortie avait provoqué l'ire du maire Gérald Tremblay, qui avait réclamé (tiens, ça devient une habitude!) la démission du PDG de Tourisme Montréal.

Loin de se rétracter, M. Lapointe en avait rajouté après s'être entretenu avec le maire, appelant même tous les Montréalais à «poursuivre collectivement [leurs] efforts pour rendre Montréal plus belle».

Nous étions plusieurs à partager l'indignation de Charles Lapointe devant la dégradation de nos infrastructures, devant le manque d'intérêt de nos dirigeants politiques pour l'esthétique, devant leur manque de vision aussi et devant l'image, souvent piteuse, de la métropole.

Vrai, Montréal est souvent laide, je m'en désespère chaque fois que j'ai le bonheur de faire le trajet entre l'aéroport Trudeau et le centre-ville.

Depuis quelques années, nous avons toutefois appris, avec dégoût, que les graffitis, les nids-de-poule et les fissures dans nos horribles structures en béton, tout laids soient-ils, sont un mal bien secondaire à côté d'une autre laideur, moins visible celle-là, mais pas moins puante et encore plus insidieuse: la corruption ou les abus de nos dirigeants, gangrène généralisée dans cette ville. De ça, M. Lapointe ne semblait toutefois guère s'offusquer, pas plus d'ailleurs que les gens nommés aux postes administratifs en tant que garants de la bonne gestion des deniers publics.

Pour un homme qui s'inquiétait tant de l'image de Montréal auprès des étrangers, M. Lapointe vient d'ajouter son nom à la longue liste des planqués qui ont fait plus au cours des cinq dernières années pour détériorer la réputation de la ville que 50 ans de négligence urbanistique.

Parlant de planqué, il est tout de même ironique de constater que l'«affaire Lapointe» tombe en même temps que la première nomination partisane du nouveau maire Coderre, celle de son candidat-vedette battu, Philippe Schnobb, à la tête du conseil d'administration de la STM.

Heureuse coïncidence pour le maire qui, en élevant la voix dans l'«affaire Lapointe», a fait écran sur l'«épisode Schnobb». Les deux histoires sont évidemment différentes et le maire Coderre a eu raison d'intervenir fermement, mais s'il veut vraiment contribuer, comme il l'a promis, à l'assainissement des moeurs politiques, il doit oublier les bonnes vieilles méthodes, dont les nominations partisanes.

Dans les administrations publiques, la complaisance et le copinage ont souvent le même effet: perpétuer la culture des planqués qui finissent par oublier que leurs patrons sont les contribuables, pas leurs potes qui les nomment ou les protègent.

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, plusieurs voix se sont élevées pour affirmer que la nomination de M. Schobb n'est «pas pire que bien d'autres», notamment celle de l'ex-député péquiste Nicolas Girard à la direction de l'AMT.

Non, «pas pire», en effet. Mais pas mieux non plus! Pas plus acceptable, en tout cas. Ne pourrions-nous pas, enfin, nous élever un peu et viser non pas le «pas pire que» mais le «mieux que», le meilleur?

Le fait est que M. Schnobb n'a pas d'expérience en gestion. Oui, mais il connaît bien les transports en commun de Montréal, rétorquent ses alliés. Soit. Moi, j'achète du vin depuis des années au Québec (et ailleurs, ce qui me permet de comparer), est-ce que je peux être nommé président du C.A. de la SAQ?

Saturation et solutions

L'«affaire Lapointe» arrive à un moment de saturation dans la population, d'où la réaction forte de l'opinion publique et des politiques. Les sénateurs à Ottawa, la haute direction du CHUM, le président de la Monnaie royale (ami de Jim Flaherty), les magouilleurs de la commission Charbonneau et même des députés qui abandonnent sciemment leurs électeurs en empochant une généreuse allocation de transition pour aller se faire élire ailleurs. N'en jetez plus, la cour est pleine.

En verra-t-on un jour la fin? Y a-t-il un remède à ce mal galopant?

On devrait commencer par généraliser des règles (salaires et primes) claires pour les postes publics. Accroître, aussi, les pénalités en cas d'abus. Enfin, la publication, sur internet, des salaires et avantages des gestionnaires subventionnés par les fonds publics éviterait les mauvaises surprises détectées aléatoirement, par le vérificateur général, par exemple.

Il y a des solutions, mais pas de recette miracle.

L'«affaire Lapointe» confirme, une fois de plus, qu'un gestionnaire, même compétent et respecté, peut sombrer dans la goinfrerie avec les années si on relâche la surveillance. La plupart en viennent même à croire qu'ils ne font que toucher leur dû, tel que l'avait bien expliqué le juge Gomery dans son rapport sur les commandites.

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