Le mot clé pour le gouvernement Marois en cette nouvelle session parlementaire qui commence aujourd'hui est doublement simple: majorité.

Doublement, parce que les stratèges péquistes ont misé sur l'adhésion d'une majorité à leur projet de Charte des «valeurs québécoises» pour obtenir... une majorité aux prochaines élections.

Cette première étape vers la majorité semble toutefois fragile, comme le démontrent de nouveaux sondages sur la question, si bien que pour Bernard Drainville, qui a mis tous ses oeufs dans le panier d'un large appui populaire, le plancher devient soudainement chambranlant.

Pour le gouvernement Marois aussi, dont tous les membres semblent parfaitement solidaires du projet Drainville. Pour le moment, les députés et ministres laissent Bernard Drainville monter au front seul, mais aucun n'a manifesté ne serait-ce qu'un début de dissidence, contrairement à l'ex-députée bloquiste, Maria Mourani, qui en a payé le fort prix.

En ce début de session, le gouvernement se retrouve devant quelques options:

- Abandonner purement et simplement son projet, faute de consensus à l'Assemblée nationale (ce qui serait étonnant)

- Scinder le projet pour faire adopter rapidement la Charte, sauf les restrictions touchant le port de symboles religieux (le PQ n'aurait franchement pas grand-chose à y gagner et cela ressemblerait fort à un recul)

- Tenir son bout mordicus et tenter de faire adopter la Charte avant la prochaine campagne, quoi qu'il advienne (une défaite parlementaire serait toutefois humiliante)

- Tenir son bout, mais ne pas amener le projet aux votes à l'Assemblée nationale, puis partir en campagne pour demander une majorité aux Québécois (en jetant le blâme sur les libéraux et la CAQ, tout en se présentant comme le champion de l'identité québécoise aux prochaines élections)

Toutes ces options comportent des risques, mais c'est le gouvernement qui a fait «sortir la pâte à dent du tube» en ramenant ce débat sur le tapis. Il est fort possible, toutefois, que Bernard Drainville se soit «peinturé dans le coin» en insistant aussi lourdement sur la nécessité d'un consensus très large dans la société et sur l'urgence de régler cette question laissée en plan par le précédent gouvernement après le dépôt du rapport Bouchard-Taylor.

Ce qui est certain, c'est que la question de la Charte des «valeurs québécoises» animera la rentrée parlementaire. Le gouvernement reste, pour le moment, déterminé; le chef libéral Philippe Couillard a dit dimanche qu'il faudra lui «passer sur le corps» pour faire passer cette charte et la CAQ a parlé de "calvaire" pour décrire son application. Quant à Québec solidaire, il offre un appui mitigé sur le principe, mais s'oppose aux restrictions vestimentaires et réclame des études.

On parlera de charte, bien sûr, mais pas que de ça. Comptez sur les libéraux et les caquistes pour parler d'économie.

Même si on ne peut, décemment, imputer toute la faute au gouvernement, le Québec a perdu des emplois ces derniers mois et les finances de la province ne sont pas en très bon état, malgré le discours optimiste du ministre des Finances, Nicolas Marceau.

En ce moment, au Québec, le fauteuil du champion de l'économie est vide. Le PQ a toujours eu du mal à s'imposer dans ce domaine et il n'a pas, en ce moment, de fortes pointures à la Parizeau ou à la Landry. Les libéraux ont souvent occupé cet espace, mais Philippe Couillard n'est pas vu comme un "économique" et le départ de Raymond Bachand laisse un trou. Quant à François Legault, il fait d'innombrables efforts pour se présenter comme la solution aux problèmes économiques du Québec, mais il semble s'activer sur une île détachée du continent.

Le chef de la CAQ a toutefois une carte en main: c'est lui qui, le premier, a sonné la charge contre les hausses de taxes scolaires imposées à de nombreux contribuables québécois, en particulier ceux de la classe moyenne, la clientèle de la CAQ.

François Legault aurait d'ailleurs raison d'attaquer sur ce front puisque ces hausses de taxes scolaires sont le résultat direct d'une manoeuvre bâclée du gouvernement Marois, qui tente de s'en laver les mains aujourd'hui.

Retour sur image: budget Marceau, novembre 2012, le gouvernement annonce qu'il met fin à un programme de péréquation qui permettait à certaines commissions scolaires de toucher des subventions. Le gouvernement demande alors mollement à ces commissions scolaires de ne pas hausser les taxes et d'en profiter pour revoir un peu leurs dépenses. En coulisse, les conseillers du gouvernement disent même que c'est le début d'une opération ménage dans les commissions scolaires, qui devront couper dans le gras.

Évidemment, les commissions scolaires ont préféré refiler la note aux contribuables. Personne ne devrait s'en surprendre, surtout pas Pauline Marois, qui a été ministre de l'Éducation, des Finances et présidente du Conseil du Trésor.

À tout prendre, le gouvernement préférera sans doute débattre de «valeurs québécoises» et de symboles religieux que d'équité fiscale et de classe moyenne en ce début de session parlementaire.

vmarissal@lapresse.ca