Vous souvenez-vous sur quels principes Stephen Harper a été élu à la tête du Canada, il y a sept ans? Lui, en tout cas, semble l'avoir oublié.

Pour mémoire, le nouveau Parti conservateur de M. Harper a chassé les libéraux en promettant d'assainir les moeurs politiques à Ottawa, notamment en imposant une plusgrande transparence au gouvernement et à la machine de l'État et en mettant fin à la concentration de pouvoirs entre les mains du premier ministre.

Aucun scandale majeur de financement depuis quelques années à Ottawa, c'est vrai, mais pour la transparence et la décentralisation des pouvoirs, on repassera.

En fait, en ce qui concerne le contrôle paranoïaque du pouvoir au bureau du premier ministre, Stephen Harper est en train de faire passer Paul Martin et Jean Chrétien pour des amateurs! Quant à la transparence, le premier ministre conservateur est devenu une caricature de ce qu'il reprochait à ses prédécesseurs libéraux.

Il n'y a pas que les vilains journalistes gauchistes qui le disent, les critiques les plus vives viennent ces jours-ci des banquettes situées juste derrière M. Harper, où des députés conservateurs ont de plus en plus de mal à accepter leur rôle de plante verte.

Beaucoup de gens sont irrités par ces députés conservateurs qui reviennent sporadiquement avec des questions morales, en particulier l'avortement. Nous sommes assez nombreux dans ce pays à ne pas avoir envie de ramener ce débat sur le plancher, mais cela ne nous autorise pas à museler ceux qui ne pensent pas comme nous.

Permettez le cliché, mais Voltaire (du moins lui attribue-t-on cette citation) a résumé ainsi le principe: «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire.»

Bon, «jusqu'à la mort», c'est peut-être un peu exagéré, mais parlant de principes, c'est Stephen Harper qui s'est fait élire en disant que les députés devaient retrouver leur voix, que le bureau du premier ministre (BPM) en menait trop large au temps des libéraux et que cela dérangeait les Canadiens.

Aujourd'hui, Stephen-le-Vertueux a fait place à Stephen-le-Maître, qui ne tolère pas la dissidence. Dans la volonté du «centre» (c'est comme ça qu'on appelait le BPM à l'époque de Paul Martin) de museler les députés qui osent déroger aux directives, le whip du caucus conservateur s'est opposé à ce que le président de la Chambre des communes leur donne la parole. Bonjour la liberté d'expression des élus!

Pourtant, M. Harper et ses sbires devaient bien savoir que ces députés qui s'agitent aujourd'hui sont des militants antiavortementet ils ne leur ont pas interdit de se présenter pour leur parti. Me souviens pas, en campagne électorale, d'avoir entendu Stephen Harper exiger que ses candidats répudient leurs idées sur ces sujets délicats.

C'est doublement hypocrite, parce que non seulement ils connaissent les positions de ces députés, mais cela fait leur affaire,parce qu'elles permettent de rallier une certaine frange de l'électorat. Laissez-les parler, M. Harper. Leur proposition sera battue et la vie démocratique continuera.

Stephen Harper passe pour un stratège de génie, mais son parcours est devenu aussi prévisible que navrant, détourné de ses principes, comme tant d'autres avant lui, par le seul attrait du pouvoir. En campagne électorale, ou dans l'opposition, combien de chefs politiques brandissent de nobles principes pour se rapprocher du peuple, mais s'empressent de larguer ces encombrantes obligations morales une fois au pouvoir pour mieux régner au-dessus de la plèbe?

Le premier ministre n'hésite pas à museler les fâcheux aux Communes, mais il ne se prive pas d'envoyer ses goons contre les partis de l'opposition, comme Pierre Polièvre, député de la région d'Ottawa qui semble s'être donné pour mission de repousser les limites du ridicule à chacune de ses interventions. Je vous ferai un jour son bêtisier, ça vous donnera envie d'écouter la période des questions juste pour vous bidonner. Un vrai champion du monde, pour reprendre une réplique du Dîner de cons...

Plus sérieusement, parlant de transparence, vous n'êtes pas obligé de croire les vilains journalistes gauchistes qui disent que le gouvernement fédéral recule sous Stephen Harper.

Allez seulement lire cette lettre ouverte de Kevin Page, ancien directeur du Bureau parlementaire du budget, un organisme créé par Stephen Harper... et émasculé par lui.