Il en faut peu, parfois, pour allumer des échanges enflammés sur les réseaux sociaux. Essayez, par exemple, en lançant un commentaire sur l'état de notre piteuse métropole. Vous serez servi, comme je l'ai été ces derniers jours après avoir écrit qu'il est de plus en plus gênant d'être Montréalais.

Voilà peut-être, à bien y penser, le seul signe d'espoir ces temps-ci: les Montréalais aiment leur ville, ils se désolent de la voir devenir la risée du Québec et souhaitent une relance.

J'ai exprimé, vendredi, mon désarroi après avoir appris que le maire Applebaum était sorti dans la rue, une pelle à la main, pour demander aux Montréalais s'il doit accorder des contrats de remblai des nids-de-poule, même si la Ville devait faire affaire avec des firmes soupçonnées de filouterie. Le maire a même lancé un sondage auprès de ses concitoyens!

Misère, c'est là qu'on est rendu, à Montréal! Devra-t-on, bientôt, transporter une pelle et un peu de bitume dans le coffre arrière de son auto pour boucher soi-même les trous?

Devant ce cruel dilemme, trous ou ripoux, même le ministre responsable de la métropole, Jean-François Lisée, a décidé de prendre la plume (qu'il garde toujours à portée de main!) pour écrire sur son blogue que l'intérêt des citoyens prime et qu'il faut donc combler les nids-de-poule pour le bien de nos essieux, quitte à attraper plus tard les profiteurs qui tenteraient de s'enrichir grâce à nos proverbiaux trous printaniers. Ah, enfin un peu de leadership! Vraiment, on vit une époque formidable.

Nous voici donc avec un maire qui ne sait pas s'il doit ou non faire réparer les rues et un arrondissement central qui a décidé de ne pas ramasser la neige. On m'a reproché, sur Twitter, une petite blague sur mes amis du Plateau qui, après la dernière tempête, sont assurés d'avoir des bancs de neige jusqu'en avril. «Vous nuisez au commerce sur le Plateau», m'a-t-on sermonné. Franchement, le Plateau n'a pas besoin de moi pour ça. Pas plus que la ville centre n'a besoin des chroniqueurs pour avoir l'air ridicule.

Et dire qu'on s'est déjà payé la tête de Toronto parce que son ex-maire, Mel Lastman, avait appelé l'armée, en panique, après une bonne bordée de neige.

J'avais tout ça en tête, hier, en écoutant le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault, expliquer son ambitieux plan de revalorisation des berges du Saint-Laurent devant les militants de son parti, réunis à Boucherville. Son «Projet Saint-Laurent» vise à développer toute la vallée du fleuve, de Montréal à Québec, mais il fait évidemment la part belle à Montréal. Récupération de terrains industriels, décontamination, création de nouveaux quartiers, de pôles d'innovation, d'entreprises, Montréal doit être «hot et belle» pour attirer des investisseurs, affirme M. Legault.

C'est très joli, tout ça (du moins en théorie, parce que le projet de la CAQ manque pour le moment de détails sur le comment et sur le combien), mais en ce moment, Montréal n'est même pas capable de s'occuper de ses nids-de-poule, ai-je fait remarquer à François Legault. D'ailleurs, signe révélateur, le chef de la CAQ a vanté dans son discours les progrès d'aménagement en bordure du fleuve à Québec et à Trois-Rivières, mais il n'a pu s'empêcher de rire en parlant de Montréal. Ses militants se sont eux aussi esclaffés. Ah, Montréal, la bonne blague! Mais comme le disait si bien la défunte revue Croc, c'est pas parce qu'on rit que c'est drôle...

François Legault reconnaît que Montréal a de sérieux problèmes. Il critique d'ailleurs sans détour le «manque de leadership» du maire actuel, comme il l'avait fait pour Gérald Tremblay, et affirme que «ç'a pas de bon sens» de sortir dans la rue avec une pelle en demandant aux Montréalais s'il faut boucher les nids-de-poule.

«Montréal a besoin de l'aide de Québec, mais la ville manque de leadership, contrairement à Québec, même si des fois, c'est un peu trop!» dit M. Legault en faisant référence à Régis Labeaume.

Selon M. Legault, Montréal souffre de trois obstacles majeurs à son développement: pénurie de terrains pour le développement commercial et industriel, manque de mesures fiscales incitatives et absence de démarchage auprès d'investisseurs potentiels.

Il y a au moins deux autres problèmes graves. Primo: le côté inamovible du port de Montréal, immense enclave industrielle d'un autre siècle qui bouffe le filet mignon immobilier et urbain de Montréal (traduction libre de prime land).

Secundo: la structure ingouvernable de Montréal, avec sa ville centre paralysée, ses trop nombreux arrondissements (et leurs roitelets), ses villes défusionnées qui trouvent leur identité propre à ne pas appartenir à celle, commune, de Montréal, et j'en passe.

Cela fait tellement longtemps que ça dure. C'est à croire que ça fait l'affaire du gouvernement, quelle que soit sa couleur, à Québec.

François Legault, homme d'affaires cartésien qui s'intéresse aux structures, sait bien que celle de Montréal n'a ni queue ni tête. Son caucus débat parfois de projets de réforme de la gouvernance à Montréal et il admet, à mots couverts, qu'il y a trop d'élus à Montréal.

Dans son discours, il affirmait hier que «Montréal deviendra, plus que jamais, le navire amiral du développement d'une économie moderne au Québec», ajoutant que «tous les éléments sont réunis pour créer à Montréal une zone d'innovation d'envergure internationale».

Tous les éléments? Faux. Depuis trop longtemps, le navire amiral est en rade, sans capitaine, sans gouvernail ni itinéraire.

Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca