Lucien Bouchard, qui a présidé quelques sommets mémorables dans les années 90, avait bien compris à quel point ces exercices sont exigeants, risqués et incertains, au point de lancer cette boutade un jour à son entourage: «Si vous m'entendez encore parler d'organiser un sommet, arrêtez-moi, s'il vous plaît!»

La promesse de tenir un sommet sur ceci ou cela a le grand avantage de permettre au parti qui s'y engage de gagner du temps et de neutraliser une crise, mais comme il s'agit le plus souvent de temps emprunté, il faut repayer un jour, avec intérêts.

C'est ce qui semble se dessiner pour le gouvernement Marois, à cinq jours de son Sommet sur l'enseignement supérieur.

Inévitablement, les attentes entourant ce genre d'événement grandissent jusqu'au point de démesure, les objectifs devenant flous, les enjeux épars et l'ordre du jour, irréaliste. Une recette pour un fiasco. Au mieux, tout le monde repart insatisfait; au pire, certains claquent la porte avant la fin des discussions. Pour sauver la face, le gouvernement salue le consensus, rappelant le cliché voulant que la politique soit l'art du possible et que consensus ne veut pas dire unanimité.

C'est en regardant Paul Martin tenir de grands sommets avec les premiers ministres des provinces (une fois à Regina pour son arrivée au pouvoir, une autre fois à Ottawa sur le financement de la santé) que Stephen Harper s'était convaincu d'éviter ce genre de rencontre. Jean Chrétien aussi était devenu allergique à ces sommets fédéral-provinces, où tout un chacun débarquait avec sa liste d'épicerie et repartait d'Ottawa en maudissant le gouvernement fédéral.

De ces psychodrames, il ne restait généralement que de mauvais souvenirs, des dissensions et bien peu de solutions réelles et durables.

Est-ce le sort qui attend le Sommet sur l'enseignement supérieur, qui se tiendra à Montréal lundi et mardi? Les espoirs de succès sont plutôt faibles et l'enflure entourant l'exercice est à son comble. J'écoutais lundi soir une collègue de TVA parler du «méga» Sommet sur l'enseignement supérieur et des défis qui attendent le ministre Pierre Duchesne... «Méga sommet» ... difficile de faire plus hyperbolique!

Pour rester dans le ton, disons que ça se présente mal, notamment parce que les recteurs sont de méga mauvaise humeur. Avec raison, d'ailleurs. À quelques jours de ce sommet, dont ils sont tout de même des acteurs incontournables, les recteurs ne savent toujours pas à quoi ressemblera l'ordre du jour, quel est le plan de la rencontre, de quoi on parlera au juste. Après des mois de préparation, leurs relations avec le ministre Duchesne sont au plus mal et leurs revendications en faveur d'un accroissement du financement des universités se retrouvent loin dans la liste des sujets. Les recteurs n'ont pas rencontré Pauline Marois en vue de ce sommet, mais celle-ci a pris le temps de s'asseoir avec les leaders étudiants, une autre source d'exaspération.

Comme la rectrice de l'Université McGill, Heather Munroe-Blum, les recteurs sont mécontents et ils pourraient refuser de signer le document final du sommet s'ils n'y trouvent pas leur compte - ce à quoi les encouragent d'ailleurs certains opposants politiques au gouvernement Marois.

Un tel scénario serait évidemment catastrophique pour la suite des choses entre les universités et le gouvernement Marois. Cela n'augurerait rien de bon pour le financement des universités non plus.

Il est difficile de croire qu'on ait pu en arriver là entre le gouvernement et la haute direction des universités. Comment peut-on, au Québec, gouverner «contre» les recteurs, qui sont les dirigeants de grandes institutions? Ce n'est pas très sage. Pas plus que de se mettre les chefs syndicaux ou le monde des affaires à dos.

Le gouvernement Marois aurait intérêt à s'inspirer de la méthode Bourassa: téléphoner, discuter, entretenir le dialogue, forger des alliances avec les acteurs incontournables de la société québécoise.

À en juger par l'ébauche d'horaire très allégé du sommet, tout ce beau monde aura le temps de faire connaissance au cours des nombreuses et longues périodes de «réseautage». C'est déjà ça...

De quoi on parlera vraiment, on ne le sait pas encore, puisque l'ordre du jour semble s'écrire sur la place publique, au jour le jour, et au fil des questions à l'Assemblée nationale et des sorties publiques des différents groupes.

Si ce n'est que pour faire du «réseautage», on aurait pu faire l'économie d'un sommet et de son inévitable psychodrame.

Trop riches, les universités anglophones?

Une chose dont on ne parlera pas au Sommet: le financement des universités anglophones par rapport à leurs soeurs francophones.

Le chef d'Option nationale, Jean-Martin Aussant, et son collègue Pierre Curzi affirment, étude à l'appui, que les universités anglophones du Québec sont surfinancées par rapport au poids réel de leur communauté. En attirant de plus en plus d'étudiants francophones (en plus de la part du lion des étudiants étrangers et canadiens hors Québec), McGill et Concordia coupent l'herbe sous le pied des universités francophones, les privant de ressources financières essentielles, disent MM. Curzi et Aussant.

Il serait plus qu'étonnant que les participants du Sommet (Option nationale n'a que le statut d'observateur) veuillent s'aventurer dans ces eaux agitées. Ce sommet s'annonce déjà suffisamment délicat, on n'a pas vraiment besoin d'une autre pomme de discorde entre le gouvernement, les partis de l'opposition, les étudiants et les recteurs.