Ils sont neuf candidats. Ils seront demain à Vancouver pour le premier débat. Ils ont tous un site internet (sauf Martin Cauchon, pour le moment), des bénévoles et des organisateurs et ils disent tous vouloir devenir chef du Parti libéral (PLC). Pourtant, ceci n'est pas une course, c'est un long processus menant au couronnement de Justin Trudeau.

On savait déjà tous que Justin Trudeau était très loin devant et, à moins qu'ils soient aveuglés par une phénoménale mauvaise foi, les militants libéraux ne trouveront dans ce nouveau sondage aucune raison de ne pas l'élire à la tête de leur parti en avril.

Ce qui ne veut pas dire que cette fausse course soit inutile. Au contraire, elle donne au PLC une visibilité dont il a bien besoin, elle mobilise les anciens libéraux qui reprennent espoir et attirent de nouveaux supporteurs.

Qu'ils n'aient pratiquement aucune chance de l'emporter ne veut pas dire que les huit autres candidats n'aient pas de valeur. Les courses à la direction permettent souvent de découvrir de nouveaux visages venus de l'extérieur du cercle traditionnel des partis politiques ou des collines parlementaires. Vu l'état de leur parti, les libéraux peuvent s'estimer chanceux d'avoir attiré neuf candidats à la direction. Si un candidat réussit à se démarquer et à s'imposer dans les débats de façon crédible sur l'économie, il marquera des points puisque ce front majeur est libre pour le moment.

Les libéraux fédéraux, contrairement à leurs cousins du Québec, ont aussi le mérite d'avoir innové en ouvrant leur parti aux «sympathisants», des électeurs qui, sans devenir membres du PLC, peuvent néanmoins voter pour élire le prochain chef. Le PLC compte actuellement 55 000 membres et 45 000 sympathisants, soit 100 000 électeurs potentiels, un nombre qui devrait atteindre 120 000 d'ici avril, espèrent ses dirigeants.

Un tel système hors parti favorise nécessairement les candidats les plus connus, ce qui ne fait qu'accentuer l'avance de Justin Trudeau. Celui-ci vise ouvertement à attirer le plus de sympathisants possible, dans l'espoir que ceux-ci restent au PLC une fois la course terminée.

Dans la bataille de la notoriété, Justin écrase ses adversaires. Seul Marc Garneau, le premier Canadien à aller dans l'espace, s'en tire avec un score honorable. Quant à Martin Cauchon, qui compte sur ses années au sein du gouvernement pour lui assurer une certaine notoriété, il termine lointain troisième (seulement 16% des répondants disent le connaître, un chiffre qui descend à 14% chez les électeurs libéraux).

M. Cauchon aura visiblement beaucoup à faire pour rappeler qui il est et ce qu'il a fait aux militants et sympathisants libéraux lorsqu'il était ministre de la Justice, il y a une dizaine d'années. Certains, par contre, se rappelleront qu'il était une figure de proue du gouvernement Chrétien, entaché par le scandale des commandites, et qu'il a lui-même entretenu des relations amicales avec certains acteurs de cette affaire, dont l'ancien publicitaire Jean Lafleur.

Près de 10 ans après l'éclosion du scandale des commandites, les libéraux veulent tourner la page et ils voient justement en Justin Trudeau le meilleur espoir de changement, ce qui n'est certainement pas le cas de M. Cauchon.

Depuis des mois, Justin Trudeau affirmait en privé s'attendre à voir Martin Cauchon dans cette course, mais son entrée tardive, à 48 heures de la fin des mises en candidature, en a mystifié plusieurs, à l'extérieur comme à l'intérieur du PLC, y compris chez d'anciens collaborateurs de M. Cauchon. «Franchement, je ne sais pas pourquoi Martin a autant attendu ni ce qu'il va faire dans cette course, à moins qu'il cherche à forger une alliance pour bloquer Justin», m'a dit cette semaine un ex-collaborateur de Martin Cauchon.

Chose certaine, cette entrée à minuit moins une ne lui facilitera pas la tâche. Pratiquement seul sur le terrain depuis des mois (Marc Garneau et Martha Hall Findlay sont aussi actifs, mais à un moindre degré), Justin Trudeau engrange les appuis, lui qui jouissait déjà d'une grande notoriété.

L'«effet Trudeau» est moins spectaculaire que l'automne dernier dans les intentions de vote, mais c'est tout de même le seul candidat capable de ramener les électeurs libéraux au bercail, très largement au détriment du Nouveau Parti démocratique.

Par ailleurs, une majorité d'électeurs libéraux (51%) croient qu'il ferait un bon premier ministre. Dans la population en général, seulement 27% des répondants partagent cette opinion, mais pour le moment, M. Trudeau doit d'abord se préoccuper des libéraux.

À trois mois du congrès, et avec une telle avance, le plus grand ennemi de Justin Trudeau, c'est... Justin Trudeau qui, on le sait, s'aventure parfois maladroitement en terrain glissant.

Pour le PLC, le plus grand danger, c'est... la cacophonie prévisible dans des débats à neuf candidats, surtout dans les segments en français.

La présence sur les rangs de Deborah Coyne, qui vient de publier un livre détaillant sa relation avec feu Pierre Elliott Trudeau, avec qui elle a eu un enfant, ajoute un côté inusité à cette course.

Que Justin Trudeau le veuille ou non, l'ombre de son père plane toujours sur la famille libérale...

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