Il y a quelques semaines, l'ouragan Isaac se dirigeait vers Haïti, ce qui a fait craindre le pire dans ce petit pays qui collectionne les calamités depuis tellement longtemps.

J'ai envoyé un courriel à David Payne pour lui demander comment Port-au-Prince se préparait à subir cette nouvelle épreuve.

«J'ai quitté Port-au-Prince, je suis à Mogadiscio, en mission pour l'ONU.»

- Pardon, Mogadiscio? Mais qu'est-ce que tu fais là? Tu ne trouvais pas que P-a-P était assez chaotique? lui ai-je répondu à la blague.

Mogadiscio, donc, capitale de la Somalie, pays en proie à un désordre indescriptible depuis des années, ravagé par la guerre civile, par des affrontements entre seigneurs de la guerre, le tout pimenté par les attaques sanglantes des shebab, ce groupe terroriste islamiste qui n'a rien à envier à Al-Qaïda, et par la présence, au sud, d'impitoyables pirates lourdement armés qui n'hésitent pas à détourner des pétroliers géants et à exécuter des otages au besoin.

La Somalie, la quintessence du Fail State (État en déliquescence, État déstructuré, selon les différentes traductions), dit David Payne, qui s'y connaît en chaos.

À la retraite, certains se mettent au vélo ou à la randonnée pédestre, à la cuisine ou à l'observation des oiseaux. D'autres préfèrent les croisières, les petites maisons en Provence ou les voyages organisés.

Depuis qu'il a pris sa retraite de la politique, en 2003, David Payne, ex-député péquiste de Vachon, quant à lui, fait la tournée des catastrophes géopolitiques modernes. M. Payne est ce qu'on pourrait appeler un «mercenaire de la démocratie». Il sillonne la planète pour le compte d'USAID (l'ACDI américaine) ou de l'ONU afin de mettre sur pied des institutions démocratiques (Parlement, Sénat, bureaux de gestion et de rédaction des lois, etc.) dans des pays en ruine.

Si le parcours international de David Payne était une ligne de métro, il irait de la station catastrophe à la station chaos, à la station désastre, à la station enfer...

Depuis 2003, donc: le Kosovo, l'Afghanistan, l'Irak, Haïti et, tout récemment, une mission-éclair en Somalie, où l'ONU l'a dépêché à quelques jours d'avis avec le mandat de mettre en place un parlement à peu près fonctionnel en moins de deux semaines dans un pays qui n'a pas eu d'institutions politiques et démocratiques dignes de ce nom depuis des décennies.

«Je n'ai eu que quelques heures pour me préparer à me rendre à Mogadiscio, m'a raconté David Payne lors d'un récent et court passage à Montréal, où sa femme et ses deux jeunes filles vivent toujours. Je suis arrivé le 9 août et l'échéance pour inaugurer le Parlement était le 20, et pratiquement rien n'avait été fait! Seulement 120 des 275 députés avaient été choisis. On a réussi in extremis à faire nommer le président du Parlement et à assermenter les députés.»

David Payne est finalement resté six semaines en Somalie.

Entre les attaques d'Al-Shabab, dont un attentat suicide le 12 septembre visant le nouveau président Hassan Sheikh Mohamud en plein coeur de Mogadiscio et qui a fait huit morts, entre les querelles entre seigneurs de la guerre qui voulaient placer leur monde dans la députation et la pression de la communauté internationale qui souhaite un semblant de normalité dans ce chaos, le parlement somalien a finalement été inauguré.

Mais comme ça urgeait et que rien n'était prêt, la cérémonie a été organisée sur le tarmac de l'aéroport de Mogadiscio, seule zone sécurisée de la capitale, sous le contrôle des forces de l'Union africaine. «Nous avons assermenté le président du Parlement et les députés sous les étoiles, à l'aéroport, avec les phares des blindés comme éclairage et entourés d'un régiment de militaires des forces de l'Union africaine, c'était de toute beauté!», lance David Payne, avec cette pointe d'humour très british qu'il n'a pas perdu même s'il a quitté son Angleterre natale il y a près de 40 ans.

Vaut mieux avoir de l'humour et un certain flegme pour mener de tels mandats à Mogadiscio, Port-au-Prince, Kaboul, Bagdad ou Pristina. Vaut mieux aussi mettre de côté quelques certitudes et ajuster ses attentes et ses exigences selon le terrain. La démocratie est une science à géométrie très variable selon l'endroit du globe où on se trouve.

David Payne n'est ni cynique ni naïf quant aux effets réels des missions de démocratie que l'ONU, entre autres, mène partout sur la planète. Il sait aussi fort bien que la route est longue, mais il croit qu'il «faut commencer quelque part», faire les premiers gestes, créer les institutions, même imparfaites, qui serviront néanmoins de fondation à un édifice qu'il faudra des années à construire.

«Il faut bien commencer quelque part, dit-il, même si cela veut dire accepter que des seigneurs de la guerre soient au Parlement, comme c'est le cas en Somalie, mais aussi en Afghanistan. Il faut faire des choix, des compromis pour que ça avance en souhaitant que ces nouvelles démocraties se dirigent vers mieux.»

Cela veut dire aussi que la communauté internationale ferme les yeux, ou du moins tolère, des éléments indésirables. Et puis, il y a la corruption, omniprésente, pratiquée ouvertement. C'est particulièrement vrai en Somalie, ajoute David Payne, qui sait (comme tout le monde là-bas) que des seigneurs de la guerre paient pour avoir leur homme en place. Dans une réunion, il a même vu un ministre du nouveau gouvernement sortir une grosse liasse de billets de banque.

«Je lui ai dit qu'il avait intérêt à remettre ça très vite dans son veston et de ne pas le ressortir en ma présence», dit-il.

David Payne est habitué aux rôles inusités, lui qui a été le seul député anglophone du Parti québécois (PQ) (et un rare anglo souverainiste) pendant des années (1981-1985 et 1994-2003).

Maintenant que le PQ est de retour au pouvoir, serait-il tenté de reprendre du service ici?

«Non, je m'ennuierais», répond-il sans hésitation.

Prochaine station? L'Arménie, une mission plutôt pépère dans le parcours de David Payne.

Pour joindre notre chroniqueur vmarissal@lapresse.ca