En devenant la première femme élue au poste de premier ministre, Pauline Marois a écrit une page d'histoire hier soir, mais c'est dans le grand livre de stratégie et d'organisation politique que son parti va devoir se replonger pour comprendre où et comment il a laissé échapper les quelques sièges qui lui manquent pour former un gouvernement majoritaire.

Avant même le début de la campagne, des députés du Parti québécois savaient que ce serait serré et que, pour gagner, il leur faudrait faire des gains à Laval, à Québec et dans le 450, près de Montréal. Or, la machine libérale a résisté, encore une fois, dans la «deuxième couronne», dans des coins comme Châteauguay, Laporte ou Vimont (Laval), mais aussi dans les Cantons-de-l'Est (Orford et Brome-Missisquoi), en plus de se maintenir à flot à Québec.

La défaite de Jean Charest dans son fief de Sherbrooke constitue évidemment une surprise et une très dure nouvelle pour les libéraux, mais ils pourront se consoler en réalisant que les fondations de leur édifice, qu'on croyait fissuré à la limite de l'effondrement, sont encore étonnamment solides.

Pour la CAQ de François Legault, par contre, c'est une lourde défaite. Avec moins de 30% des voix et à peine 20 sièges, la CAQ s'en tire beaucoup moins bien que l'ADQ de Mario Dumont en 2007, malgré la présence de candidats vedettes dans son équipe.

Essayons de résumer cette soirée riche en émotions: les Québécois en avaient assez du chef libéral, mais pas de son parti, qui demeure indélogeable dans plusieurs régions; ils voulaient bien de Pauline Marois comme première ministre, mais pas d'un PQ majoritaire; manifestement, ils voulaient du changement, mais pas de la tempête annoncée avec enthousiasme par François Legault.

Ce scrutin aux résultats extrêmement nuancés apporte ce matin tout un lot de questions.

D'abord, quel genre de mandat les Québécois ont-ils donné à Pauline Marois?

Chose certaine, le programme souverainiste, que plusieurs nouveaux députés, dont Jean-François Lisée, voulaient mettre de l'avant, vient de prendre tout un coup de frein. Gouvernement minoritaire avec autour de 33% des voix (l'un ses deux pires scores depuis 1976), le PQ n'est pas en position pour forcer le jeu. Il prend le pouvoir, certes, mais il perd 2% par rapport à son score de 2008. On ne peut pas parler d'engouement.

En fait, c'est tout le programme du PQ, du moins, ses engagements les plus controversés (loi 101, abolition de la loi 78, gel des droits de scolarité) qui se retrouvent dans les limbes d'un gouvernement minoritaire. Quant aux référendums d'initiative populaire, ils deviennent maintenant plus théoriques que jamais...

Par ailleurs, Pauline Marois pourra difficilement engager l'affrontement avec le gouvernement de Stephen Harper, qui, lui, doit beaucoup apprécier le résultat du scrutin. Le gouvernement libéral ontarien est minoritaire, celui du PQ au Québec aussi... Les affaires de M. Harper vont plutôt bien.

Mme Marois est-elle bien en selle? Pour le moment, oui. Elle est première ministre et on ne dégomme pas un premier ministre en fonction si facilement. Mais au PQ, le chef est toujours un peu en danger et certains souverainistes «pressés» n'apprécieront pas de devoir remettre l'option au frigo.

Combien de temps pourra survivre ce Marois minoritaire? La moyenne de vie d'un gouvernement minoritaire est de 18 à 24 mois.

Logiquement, aucun parti n'aura intérêt à replonger en campagne trop rapidement. Les libéraux devront vraisemblablement se trouver un nouveau chef et, avec cette surprenante récolte de députés, voudront peut-être s'accrocher à l'opposition officielle. D'autant plus que la commission Charbonneau pourrait faire mal au PLQ, qui aura probablement le réflexe de baisser la tête en attendant que ça passe.

Pour le PLQ, c'est la fin de l'ère Charest et le début d'une période de reconstruction. Il s'en est bien tiré hier, somme toute, mais rappelons tout de même que ce parti, mené par le même homme, a gagné une majorité il y a quatre ans avec 42% des voix.

La suite du jeu est entre les mains de la CAQ, qui, théoriquement, détient la balance du pouvoir. François Legault a répété en fin de campagne qu'il ne serait pas «patient», ni au pouvoir, ni dans l'opposition, mais on ne peut pas dire qu'il a reçu des Québécois le mandat de brasser la cage au plus vite à Québec. Deuxième en 2007, à quelques sièges du pouvoir, l'ADQ était en bien meilleure position pour pousser le gouvernement minoritaire dans ses derniers retranchements, ce que Mario Dumont n'avait pourtant pas réussi.

Que fera François Legault? Et Jacques Duchesneau? Rongeront-ils leur frein? Feront-ils le constat que leur plan de grand ménage a échoué? Tant que les libéraux voudront bien faire survivre le PQ minoritaire, la CAQ pourra s'opposer en défendant ses idées, mais on est tout de même loin de ce dont rêvait François Legault en revenant en politique active.

Un mot sur Québec solidaire, qui a réussi à faire élire Françoise David dans Gouin. Les gens de Gouin se sont fait plaisir, mais je pense qu'ils ont aussi fait une fleur à tous les Québécois. Si elle se comporte à l'Assemblée nationale comme elle l'a fait au débat, nous entendrons une fois de temps en temps des questions différentes sur un ton bien plus respectueux.