Deux de nos chroniqueurs, Vincent Marissal et Patrick Lagacé, ont sauté dans les caravanes électorales, respectivement péquiste et libérale, pour quelques jours. Hier, ils ont passé la journée à échanger leurs impressions sur cette fin de campagne. Nous vous proposons un condensé de leurs correspondances...

PL - Salut Vincent, je t'écris en direct du bus du PLQ, surnommé «le 11 sur 10» par les collègues. Il est 8h45 et M. Jean Charest s'apprête à faire une visite d'un domaine viticole mauricien. Je crois que le message subliminal est clair, pour le chroniqueur bien entraîné: M. Charest s'améliore avec l'âge.

VM - Ils font vraiment pousser du raisin en Mauricie? Eh ben, vive le réchauffement climatique! Une dégustation à 9h le matin, j'espère que Jean Charest va recracher, sinon il va roupiller dans son bus. Je suis monté dans le «Petitpeubus» du PQ ce matin dans le Vieux-Montréal à... 6h40. En route vers l'Outaouais, par la 50. «Ce n'est pas une bonne idée de faire passer un bus du PQ sur la 417», m'a-t-on expliqué ce matin. Le PQ en Outaouais à trois jours du vote, c'est surprenant, non? Le PQ dit avoir des chances dans Papineau et Hull.

PL - Surprenant, mets-en. J'ai vécu quelques années en Outaouais, c'est une de ces régions où le proverbial cochon peint en rouge peut supposément battre n'importe qui. Mais il faut croire que la marque libérale est salement endommagée, si des pans de l'Outaouais pensent à voter pour le PQ. Donc, dans le «Petitpeubus», tu peux humer le doux nectar de la victoire que Mme Marois s'apprête à porter à ses lèvres?

VM - Bon, me revoilà, je sors de la Maison du citoyen, où Mme Marois a été accueillie par quelque 200 partisans. Le PQ pense avoir des chances dans Hull et Papineau, grâce à la CAQ qui mange du vote libéral et grâce aux libéraux qui resteront à la maison. La dernière fois que le PQ a fait élire des députés en Outaouais, c'était en 1976...

«Humer le doux nectar de la victoire», dis-tu. Non, ça sent plutôt la nervosité ici. Tu as entendu le discours de Mme Marois, jeudi soir («Lâchez-moi pas!») et tu as vu les pubs du PQ dans les journaux qui invitent les Québécois à voter pour un gouvernement péquiste majoritaire. Le PQ est encore en tête dans la course, mais quand Mme Marois regarde dans son rétroviseur, elle voit la CAQ... et cet avertissement d'usage: les objets dans le miroir sont plus près qu'ils le paraissent.

Et dans ton bus, ça sent quoi?

PL - Dans mon bus, ça ne sent rien. Ça sent peut-être le déni, si le déni a une odeur. M. Charest est très calme, ses proches aussi. Il n'y a pas de signes de panique, d'impatience. En fait, si, M. Charest a eu ce qui m'a semblé être un moment d'impatience, mais je venais de l'interrompre quand il a commencé à débiter une autre généralité. Peut-être aurait-il réagi ainsi même avec la certitude de rafler 124 sièges, prochainement.

Ce matin, lors de la visite des vignes du Domaine et Vins Gélinas, à Saint-Sévère (!), il était affable, attentif et blagueur. Il y avait quelques militants du coin, pas de foule en délire. Avec les journalistes, plus tard, le chef a été fidèle à son habitude, celle de répondre aux questions sans répondre aux questions pour marteler son message: «Pauline Marois = Référendum = Chaos», «François Legault = Séparatisse» et «Stabilité = PLQ».

Théorie à cinq sous: Jean Charest est sans doute mieux informé que nous sur l'humeur de l'électorat. Je te disais qu'il semblait en déni, mais peut-être que c'est le mauvais mot. Peut-être que c'est de la résignation?

VM - Résignation, oui, c'est aussi le mot qui m'est venu à l'esprit, jeudi, lorsque nous l'avons reçu en rencontre éditoriale, à La Presse. Jean Charest a bien trop d'expérience pour ne pas savoir ce qui lui pend au bout du nez. Après plus de neuf ans au pouvoir, trois mandats, dont le dernier assombri par des histoires de corruption, franchement, gagner dans de telles conditions relèverait du miracle. Perdre ne serait pas une honte, ce serait même dans l'ordre naturel des choses. La situation est différente pour Pauline Marois. C'est elle qui risque d'échapper le ballon alors qu'on la voyait déjà dans la zone des buts.

PL - C'est la première fois que je monte dans une caravane de chef. Je dois te dire que j'ai un profond malaise devant le talent de Jean Charest à ne jamais répondre aux questions des journalistes. Il ne répond JAMAIS sur le fond à la question, tu l'as vu lors de sa visite à La Presse. C'est fâchant mais, surtout, c'est grave.

Mais j'ai aussi une sorte d'admiration perverse devant sa capacité à «faire semblant». À faire semblant, justement, de répondre aux questions des journalistes. À faire semblant d'être sûr que, «le 4 septembre prochain, vous allez m'envoyer Robert Pilotte comme député de Saint-Maurice!», comme il vient de dire à des militants réunis dans une micro-brasserie de Shawinigan, sur le ton le plus convaincu et le plus convaincant du monde.

Ce talent pour faire semblant est stupéfiant, il force l'admiration. Mais je donnerais cher pour connaître, pendant seulement une minute, les pensées candides de cet homme.

Aaaaah, Mme Marois! Une semaine de plus et elle l'échappait, le ballon, je crois...

VM - Tu as raison, il y a quelque chose d'enrageant, mais en même temps, de fascinant dans cette capacité à ne pas répondre. Je vais dire quelque chose d'épouvantable, mais les politiciens gagnent rarement à être trop francs, trop directs, trop transparents. Tu trouves Charest exaspérant? Tu aurais dû entendre Stephen Harper en 2011. Peu importe la question qui lui était posée, il répondait, sur le même ton monocorde, la même ligne apprise par coeur, qui n'avait le plus souvent strictement rien à voir avec la question!!! Jean Charest fait au moins l'effort de danser autour de la question. C'est comme un jeu. À l'inverse, c'est ce que bien des gens trouvent rafraîchissant chez François Legault dans cette campagne: sa franchise, sa candeur.

Ça me rappelle une anecdote: fin de campagne référendaire, en 95, Robert Bourassa fait une rare apparition et rencontre les médias. Une jeune journaliste de Radio-Canada lui pose une question, puis une sous question, puis une autre... Elle insiste encore, puis finit par lancer, exaspérée: «Mais, M. Bourassa, vous n'avez pas répondu à ma question!»

Et Robert Bourassa de répondre, sourire en coin: «Ah bon, il me semble que ce n'est pas la première fois que ça m'arrive...»

Dans un coin de la salle, mes plus vieux collègues étaient morts de rire, ravis de retrouver le maître incontesté de l'esquive.

PL - Tu as raison: Stephen Harper consentait à des points de presse cent fois plus serrés que ceux de Jean Charest, qui peuvent s'étirer sur 45 minutes. Mais je m'interroge sur notre présence massive en campagne, à couvrir des chefs qui profitent de nos questions pour parler d'autre chose. C'est aussi absurde, parfois, que si on demandait à quelqu'un s'il a bien dormi et qu'il nous répondait que le but d'Alain Côté n'était pas bon. La dissonance entre la teneur de nos questions à Jean Charest et ses réponses est de ce calibre.

Au fond, je me demande si ce style tout en esquives, en demi-réponses et en parades n'en dit pas plus long sur l'électorat que sur les candidats eux-mêmes. Le marketing politique a sans doute passé des milliers d'heures en laboratoire à tester ce qui «passe» et ce qui ne «passe» pas.

Si les candidats restent en surface et parlent dans le vide, c'est sans doute parce que c'est encore la meilleure façon de gagner.

L'erreur, c'est de croire que cela est nouveau. C'est vieux comme le monde. À preuve, ta savoureuse anecdote sur M. Bourassa...