Le hasard a voulu que François Legault et Pauline Marois rencontrent tous deux l'équipe éditoriale de La Presse hier, le jour où nous publiions à la une les résultats d'un sondage démontrant que ça se jouera entre la CAQ et le PQ, le 4 septembre.

La table était mise pour des entrevues animées. Par chance, ils ne se sont pas croisés dans un couloir ou un ascenseur, sinon je crois bien que leurs gardes du corps respectifs auraient été obligés d'intervenir pour éviter la bastonnade.

Pour décrire la relation entre Pauline Marois et François Legault, plusieurs ont fait référence à un vieux couple qui a accumulé des tonnes de griefs et qui règle ses comptes sur la place publique. L'image est bonne, mais on pourrait aussi dire que ce sont deux anciens associés dans une entreprise que l'un des deux a quittée pour lancer une entreprise concurrente. C'est un peu comme si François Legault avait ouvert son propre restaurant juste en face de celui de Pauline Marois, en disant à tout le monde que ses recettes sont nouvelles et audacieuses alors qu'on sert du réchauffé de l'autre côté de la rue.

M. Legault et Mme Marois ont travaillé ensemble sous les ordres de Lucien Bouchard, puis de Bernard Landry de 1997 à 2006, accumulant les accrochages et les différends. De 2008 à 2009, François Legault était sous-chef de Pauline Marois, dans l'opposition, là où ils ont eu aussi leur lot de mésententes.

Que François Legault quitte la politique, soit. Mais qu'il revienne aux commandes d'un nouveau parti en reniant, en plus, sa foi souverainiste, c'est trop pour la chef du PQ. Si, au surplus, le nouveau parti chauffe le PQ, cela constitue, aux yeux de Pauline Marois, un double affront.

Dans la grande salle du conseil de La Presse, au quatrième étage, lors de la rencontre éditoriale, Pauline Marois a presque disjoncté lorsqu'un collègue lui a simplement fait remarquer que François Legault serait prêt à rendre publique sa déclaration de revenus (comme cela se fait aux États-Unis) si les autres chefs faisaient de même.

«Ah le courage de François Legault! Il a toujours été aussi courageux!», a lancé Mme Marois.

Les accusations ont ensuite déferlé comme un gros orage retenu trop longtemps par une torride soirée d'été. Je résume la charge de Mme Marois, pas nécessairement dans l'ordre: «Il m'a lâchée lorsque je lui ai donné des responsabilités; il a quitté ses associés [chez Transat] sans les prévenir; il s'est dissocié du Conseil des ministres; il a renié ses convictions souverainistes alors qu'il nous harcelait pour qu'on tienne un référendum le plus vite possible...»

La kalachnikov du reproche! En quelques secondes, Mme Marois a vidé son sac, libérant tout son mépris pour le chef de la CAQ, elle qui venait tout juste de dire qu'elle essaie de garder son calme.

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Outre l'inimitié et la rancoeur entre Mme Marois et M. Legault, ce qui frappe des deux heures d'entrevues qu'ils nous ont accordées, c'est que le nom de Jean Charest n'a pratiquement pas été prononcé. Pour eux, manifestement, la joute se décidera dorénavant entre le PQ et la CAQ. Et cette joute met aux prises deux chefs aux antipodes.

Pauline Marois joue le consensus, la modération, la négociation, et admet qu'elle ne fera pas de miracle, notamment dans le domaine de la santé. Rien de révolutionnaire, quoi, juste le bon vieux modèle québécois. «J'essaie d'être nuancée», dit Pauline Marois, qui admet que cela peut parfois passer pour de l'hésitation.

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C'est tout l'inverse chez François Legault, qui est aussi pressé aujourd'hui de réformer l'État québécois qu'il l'était, il y a quelques années à peine, de déclencher un référendum sur la souveraineté.

Hier, M. Legault nous a dit qu'il remplacera les dirigeants des sociétés d'État qui ne veulent pas épouser son plan et qu'il a déjà quelques noms de successeurs en tête; il a dit qu'il réduira la paye des omnipraticiens qui ne veulent pas réaménager leur pratique tel qu'il le souhaite; il a répété qu'il abolira les commissions scolaires et qu'il diminuera le nombre d'élus à Montréal. Il a aussi dit qu'il n'attendra pas la collaboration des autres partis s'il est à la tête d'un gouvernement minoritaire et qu'il n'hésitera pas à faire tomber un gouvernement minoritaire s'il se retrouve dans l'opposition.

Ceux qui pensaient que François Legault allait adoucir son message pour la dernière semaine de campagne se trompent royalement.

«Mon défi, d'ici le vote, c'est de convaincre les Québécois que c'est faisable», nous a-t-il dit, ajoutant, tel un slogan publicitaire: «Essayez-nous, vous avez déjà essayé les deux autres!»

Deux styles distincts, deux approches opposées.

François Legault dit que Mme Marois représente le statu quo.

Pauline Marois dit que M. Legault représente le chaos.

Disons, plus sobrement, que Pauline Marois, c'est la poursuite du modèle québécois et que François Legault, c'est une révolution dans les structures.

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La Presse reçoit cette semaine en rencontre éditoriale les chefs des trois principaux partis. Les rendez-vous ont été fixés selon les disponibilités de chacun des chefs, par leur organisation. Aujourd'hui, nous vous présentons les entretiens avec François Legault et Pauline Marois. Vendredi, ce sera le tour de Jean Charest.