Jean Charest qui voit des référendums partout, Pauline Marois qui pousse le bouchon du nationalisme identitaire... À deux semaines du scrutin, libéraux et péquistes s'inquiètent visiblement de la volatilité de leur base électorale traditionnelle.

Que, dans un débat, Jean Charest talonne Pauline Marois pendant de longues minutes sur ses intentions référendaires, ça sent le réchauffé, mais c'est incontournable. Mais qu'il laisse entendre que le chef de la CAQ, François Legault, pourrait lui aussi déclencher un référendum sur la souveraineté du Québec, là, franchement, on s'approche dangereusement du n'importe quoi. Le plancher libéral est-il à ce point fragile, en particulier chez les anglophones, que Jean Charest se sente obligé d'élaborer des échafaudages aussi bancals pour ramener ses électeurs au bercail? Si tel est le cas, les libéraux sont encore plus dans le pétrin qu'on ne croit.

L'abandon, par François Legault, de ses convictions souverainistes est aussi soudain que spectaculaire, fortement teinté d'opportunisme aussi, mais il a dit lui-même, très clairement, qu'il voterait NON s'il y avait un nouveau référendum.

En duel avec M. Legault, hier soir à TVA, M. Charest n'a fait qu'effleurer la question des allégeances du chef de la CAQ en lui rappelant qu'il «est supposé voter NON». Le débat d'hier soir s'est joué ailleurs, sur les questions de corruption et d'économie, et l'expérience de Jean Charest lui a permis de s'en sortir sans trop d'égratignures.

Mais s'en sortir dans la bataille des débats ne veut pas dire gagner la guerre électorale. Jean Charest peut compter sur sa solide expérience de débatteur, cela n'efface pas l'usure du pouvoir qui pèse sur son gouvernement.

La peur du référendum, le spectre de l'instabilité et des soubresauts économiques font partie de l'arsenal politique de Jean Charest depuis près de 30 ans. Qu'il le ressorte avec une telle insistance, à deux semaines du vote, démontre qu'il n'a plus de munitions et que ses autres arguments (l'économie, notamment) ne passent pas.

C'est pourquoi le chef libéral s'évertue à dire aux Québécois depuis quelques jours qu'un vote pour la CAQ est un vote pour le PQ, un argument désespéré que les partis en difficulté gardent généralement pour la fin de la campagne. Grand classique du genre: Paul Martin, au fédéral, qui disait dans les derniers jours de campagne, en 2004 et en 2006, qu'un vote pour le NPD était un vote pour les conservateurs. Devant la poussée du NPD en 2011, Stephen Harper avait retourné l'argument en disant aux libéraux ontariens de voter conservateur pour bloquer la route à Jack Layton. M. Harper, toutefois, le faisait pour consolider son avance, non pour sauver les meubles.

Il n'y a pas que les libéraux, apparemment, qui sentent le plancher s'effriter sous leurs pieds. Les péquistes aussi tentent de reprendre pied en insistant lourdement (trop lourdement) sur la langue et l'identité, qui furent longtemps le pain et le beurre du PQ.

Imposer la loi 101 au cégep et aux 54 000 PME de 11 à 50 employés et recourir à la clause dérogatoire (même si la chose est impossible, selon plusieurs constitutionnalistes) pour empêcher les écoles-passerelles constituaient déjà tout un programme. Interdire, comme l'a promis hier Pauline Marois, aux non-francophones (y compris les autochtones) de briguer les suffrages aux élections municipales, scolaires ou législatives, c'est carrément balancer une allumette dans un dépôt d'explosifs.

Cela veut donc dire qu'un autochtone unilingue anglophone ne pourra se présenter aux élections scolaires de son coin, ou qu'une anglophone de Stanstead ou de Baie-d'Urfé ne pourra être élue conseillère municipale, même si ces gens représentent leur communauté et se dévouent pour elle. Bonjour la différence. Bonjour l'ouverture.

Cela veut-il dire que chaque fois que quelqu'un se présentera à un poste électif et qu'un adversaire dénoncera son unilinguisme supposé, le gouvernement lui enverra un franco-macoute pour s'assurer qu'il est capable de réciter la recette de la poutine en français «approprié»?

Cette loi de Mme Marois, si elle est adoptée, s'en va directement à la Cour suprême, qui, indubitablement, la déclarera illégale en vertu de l'article 3 de la Charte (tout citoyen canadien a le droit de vote et est admissible aux élections législatives fédérales ou provinciales), article qui n'est pas assujetti à la clause dérogatoire.

«Ce projet va directement à l'encontre de droits fondamentaux garantis par la charte, dont l'article 15 contre la discrimination et l'article 3 sur le droit de vote», souligne Frédéric Bérard, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Montréal.

Dans l'immédiat, voici une basse manoeuvre électoraliste. À plus long terme, voilà réunis les ingrédients pour une belle crise fédérale-provinciale. Une crise voulue et souhaitée par le PQ.

Ne me dites pas le contraire, Jean-François Lisée est bien trop intelligent pour ne pas le savoir.