On soupçonne beaucoup Jean Charest d'avoir précipité les Québécois en élections en plein été pour éviter d'avoir à commenter, jour après jour, les révélations embarrassantes faites devant la commission Charbonneau. On dirait que, malgré tout, le chef libéral ne pourra éviter le délicat sujet de l'éthique et qu'il devra vivre avec les mauvaises surprises.

Pour un chef de parti et son entourage en campagne électorale, il n'y a rien de pire que de se faire bousiller son plan de campagne par des tuiles imprévues. Parlez-en à Paul Martin, qui a dû vivre toute sa campagne de 2004 sous les lourds nuages du scandale des commandites.

Parler d'éthique, encore moins se défendre d'avoir manqué d'éthique, ce n'était pas du tout le plan de Jean Charest. On l'a bien vu mercredi, le premier ministre sortant aurait bien voulu qu'on parle de carrés rouges, de retour en classe, de loi et d'ordre et... des positions de Pauline Marois sur ces questions.

Après la diffusion du reportage d'Enquête, l'annonce (intéressante) du Parti libéral du Québec (PLQ) sur l'élargissement de la couverture pour les soins dentaires des enfants, faite plus tôt dans la journée, est soudainement tombée bien bas dans la liste des nouvelles du jour.

Dans le jargon politico-journalistique, on appelle cela un «side show», une distraction imprévue, ce qui ne veut pas dire que la nouvelle est insignifiante, au contraire. Jean Charest s'en est pris à l'éthique journalistique et au procédé de Radio-Canada, laissant même entendre que le moment de diffusion avait été décidé pour nuire à son parti. Mais quoi qu'il en dise, voilà une autre histoire embarrassante pour les libéraux.

Cela rappelle le fameux petit-déjeuner de financement de l'ex-ministre Line Beauchamp, à Laval en 2008, avec des membres du crime organisé.

Cela rappelle les liens possiblement criminels entre Tony Tomassi et Luigi Correti, de la firme BCIA, qu'on voit d'ailleurs sur une photo dans le reportage d'Enquête, tout souriant, avec Jean Charest et l'ex-ministre tombé en disgrâce.

La question n'est pas seulement de savoir qui a arrêté la filature d'Eddy Brandone et pourquoi. Il est tout à fait possible qu'un dirigeant de la Sûreté du Québec (SQ) ait pris la décision d'y mettre fin.

Ce qui me trouble, c'est la facilité avec laquelle un individu comme Eddy Brandone arrive à débarquer quelque part, non annoncé, et à rencontrer le premier ministre. Essayez ça pour voir, vous réaliserez rapidement que les trois ou quatre grands messieurs en costard avec un écouteur dans l'oreille ne sont pas là pour gérer les visites imprévues à leur patron.

Ce Eddy Brandone n'est pas qu'un militant libéral. C'est un supporteur de M. Charest depuis l'époque où celui-ci était au Parti conservateur, à Ottawa. C'est un collecteur de fonds aux accointances douteuses et, qui plus est, était membre de la direction de la FTQ-Construction. Nous sommes au coeur même de ce qui préoccupe tout le Québec depuis trois ans: quels sont les liens réels entre la politique, la construction et le crime organisé? Tout cela est du matériel pour la commission Charbonneau, qui, on l'espère, tentera d'aller plus loin pour faire la lumière sur des histoires comme celle-là, et quelques autres tout aussi troublantes.

Évidemment, les adversaires politiques de Jean Charest vont s'emparer de l'affaire, comme l'a fait dès hier soir Pauline Marois. Les partis de l'opposition ont autant intérêt à parler d'intégrité que les libéraux ont intérêt à parler de carrés rouges.

Chez les libéraux, certains soupçonnent le candidat-vedette de la CAQ, Jacques Duchesneau, d'être derrière l'histoire d'Enquête, ce qui ne fera qu'augmenter l'animosité entre les deux partis.

La stratégie de Jean Charest d'attaquer l'intégrité de Radio-Canada était prévisible, mais il s'agit davantage d'une contre-attaque que d'une explication.

Jean Charest affirme n'être jamais intervenu dans aucune enquête de la SQ. Il ajoute qu'il connaît M. Brandone parce que c'est un militant de longue date.

La question est de savoir si la parole du chef libéral suffira à convaincre les électeurs que cette histoire est un pétard mouillé.

Si c'était la première, peut-être. Mais ce n'est pas le cas. C'est une histoire de plus, dans un climat déjà sursaturé de suspicion, de doutes, d'allégations.