La question m'a été posée par un jeune homme, il y a deux mois, lors de mon passage au Forum jeunesse de l'Abitibi-Témiscamingue: «À supposer que le Parti libéral remporte les élections et garde le pouvoir, est-ce que le mouvement étudiant devrait prendre acte et cesser la grève?»

Heureusement pour moi, mon co-conférencier, Camil Bouchard, a fait quelques blagues, ce qui m'a donné le temps de tricoter une réponse pas trop bancale. En gros, j'ai dit que le mouvement de grève perdrait de sa légitimité et, surtout, son timing et son rapport de force, mais que rien n'empêcherait les associations étudiantes de voter de nouveaux mandats de grève. Je voyais mal, toutefois, comment maintenir la pression pendant les quatre prochaines années sur un gouvernement majoritaire nouvellement réélu. Dans le cas d'un gouvernement minoritaire, une crise étudiante ne ferait qu'ajouter à l'instabilité.

Et puis, ai-je ajouté, il y a la loi spéciale dans le décor, qui risque de compliquer passablement les choses à la reprise des cours.

Pour plusieurs, à commencer par Jean Charest et ses troupes, la réélection du Parti libéral (PLQ) signifierait, de facto, la fin de la révolte dans les rangs étudiants. Le premier ministre sortant l'a répété en lançant sa campagne, il y a une semaine: «aux électeurs de trancher», «la majorité silencieuse contre la rue».

Le problème avec cette thèse, c'est que nous sommes en élections générales, pas en référendum sur l'augmentation des droits de scolarité. Les leaders étudiants ont clairement indiqué qu'ils n'avaient pas l'intention de rendre les armes en cas de réélection du PLQ. Et ils ont encore moins l'intention d'abandonner la lutte maintenant, en pleine campagne électorale, peut-être leur dernière chance de garder un certain rapport de force.

Il n'y a pas que les pancartes électorales qui sont apparues dans le paysage montréalais au cours des derniers jours. Des affiches rouges de la CLASSE disant «Le 13 août, la grève continue» ont aussi fait leur apparition (certaines carrément collées sur les pancartes électorales).

Une manif organisée par la CLASSE est d'ailleurs prévue ce midi au centre-ville de Montréal, et d'autres suivront.

Déjà, certaines associations ont renouvelé leur mandat de grève et une vingtaine d'autres voteront au cours des prochains jours. La reprise est compromise, d'autant plus que bien des enseignants refuseront de traverser les piquets de grève. Quant à la police, elle refuse, me disent des sources, d'appliquer la loi spéciale parce qu'elle menace l'ordre public en provoquant des débordements. On est bien avancé...

Tout cela était écrit dans le ciel en juin, à la fin de la session parlementaire, et nous voici maintenant au moment que plusieurs redoutaient: reprise des cours, sur fond de loi spéciale, de votes de grève, de manifs et de campagne électorale. Un cocktail explosif dont nous connaissions tous les ingrédients il y a deux mois.

Jean Charest aussi connaissait ce cocktail, il faisait même partie de son plan électoral. Coincer Pauline Marois, rappeler qu'elle portait le carré rouge, qu'elle soutenait la grève et qu'elle contribuait à empêcher les étudiants de retourner en classe. À la fin de la session, plusieurs députés péquistes avaient bien hâte de voir leur chef délaisser le carré rouge, sachant que cela nuirait en campagne. «Il était plus que temps qu'elle l'enlève», m'avait même dit un député, à la fin du mois de juin.

On a bien vu le malaise de la chef du Parti québécois (PQ), hier, lorsqu'elle a dit souhaiter que tous les étudiants retournent en classe, sans toutefois les inciter ouvertement à voter pour ce retour.

Un regain d'agitation dans les campus ne déplairait certainement pas à Jean Charest. Après quelques semaines d'accalmie, les Québécois n'ont probablement pas envie de revoir les images du printemps. Bien des Québécois sont d'accord avec le chef libéral lorsqu'il dit que cela se réglera le 4 septembre. Même les policiers, dans les manifs, disent aux jeunes d'aller voter, que c'est dans l'urne qu'il faut s'exprimer, démocratiquement!

Jean Charest mise sur le ras-le-bol de la population envers les carrés rouges, un phénomène assez répandu en région. Il ne devrait pas, toutefois, sous-estimer le ras-le-bol de cette même population envers lui-même et son gouvernement. Lorsque le Parti libéral a préparé son plan de campagne, François Legault et la Coalition avenir Québec représentaient une force négligeable. Ce n'est plus le cas maintenant. Un regain dans la crise étudiante pourrait favoriser le candidat du «changement» plutôt que celui qui était au pouvoir et qui n'a pu la régler.

La suite dépend du positionnement de Pauline Marois. À condition qu'elle revienne dans cette campagne d'où elle a curieusement disparu depuis quelques jours...

Au fait, c'est quoi, le plan de campagne du PQ?