«Loi 78: Ottawa vole à la défense du gouvernement Charest», a titré hier mon journal en page A20, mais je suis loin d'être convaincu que cet «appui» du gouvernement fédéral à cette loi controversée fait vraiment l'affaire de Jean Charest.

Sur le fond de l'affaire, Ottawa et Québec s'entendent sans aucun doute sur la nécessité de maintenir la loi et l'ordre en cette période turbulente, quitte à tester les limites de la Charte des droits et libertés. Par ailleurs, ils veulent tous deux dire à l'ONU, qui a critiqué la loi d'exception, de se mêler des affaires urgentes, dans des coins plus chauds de la planète.

Sur la forme, toutefois, l'appui du gouvernement Harper sent la manoeuvre politique primaire à plein nez et nous rappelle que sur une foule d'autres sujets, les relations fédérales-provinciales sont loin d'être aussi harmonieuses.

En mettant les pieds, pour la première fois, sur le terrain miné de la crise étudiante au Québec, le gouvernement Harper voulait bien plus piéger le Nouveau Parti démocratique (NPD) de Thomas Mulcair qu'appuyer le gouvernement Charest.

Les conservateurs ont donc demandé à la Chambre des communes, par voie de motion, de «reconnaître le droit de l'Assemblée nationale du Québec, dûment élue, d'adopter des lois, comme la loi 78, à l'intérieur de ses champs de compétence».

Mais pourquoi diable faudrait-il que le Parlement fédéral vote une telle évidence? Pour forcer la main du NPD, dont plusieurs députés québécois sont favorables aux étudiants contestataires et s'opposent à la loi 78. Quelques députés néo-démocrates, élus à leur plus grande surprise en mai 2011, sont encore eux-mêmes étudiants et d'autres, comme Alexandre Boulerice, sont issus du monde syndical, plus près des carrés rouges que du gouvernement Charest.

Évidemment, le NPD n'est pas tombé dans le panneau, ajoutant à la motion: «en conformité avec les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés».

(Notez au passage que le Bloc québécois a voté contre une résolution disant: «Que cette Chambre reconnaît le droit de l'Assemblée nationale du Québec, dûment élue, d'adopter des lois, comme la loi 78, à l'intérieur de ses champs de compétence en conformité avec les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés», ce qui est plutôt étonnant.)

Dossier réglé, on passe à un autre appel. La manoeuvre aura permis de constater l'unité et la discipline du caucus du NPD, qui a expédié l'affaire sans épanchements publics ni tergiversations, comme c'est déjà arrivé dans certains autres dossiers par le passé.

Difficile, toutefois, pour quiconque suit les relations fédérales-provinciales de près, de ne pas trouver louche cet empressement du gouvernement Harper à donner son appui formel à l'Assemblée nationale.

Depuis qu'il est au pouvoir, M. Harper s'est toujours enorgueilli de respecter scrupuleusement les champs de compétence provinciale. C'est vrai, en général, mais il y a quelques accrocs notoires à cette règle, dont l'épineux dossier d'une commission des valeurs mobilières canadienne tant souhaitée par le gouvernement conservateur.

M. Harper et son ministre des Finances, Jim Flaherty, qui en fait une obsession, ne se sont pas trop formalisés, depuis 2007, d'une résolution unanime de l'Assemblée nationale décriant leur projet et rappelant qu'il s'agit là d'une compétence provinciale. La Cour suprême a d'ailleurs donné raison au Québec (et à cinq autres provinces) à ce sujet, mais les conservateurs continuent de rêver à une commission pancanadienne unique.

Idem pour le registre des armes à feu, dont le maintien a été demandé par une résolution unanime de l'Assemblée nationale.

Bien sûr, il n'est pas question dans ces cas de lois votées par l'Assemblée nationale du Québec, mais bien de demandes. On constate toutefois que le poids de l'Assemblée nationale aux yeux d'Ottawa varie énormément d'un dossier à l'autre et selon les intérêts politiques du gouvernement Harper.

Récemment encore, l'Assemblée nationale a décidé à l'unanimité que le gouvernement du Québec devait prendre tous les moyens pour forcer Ottawa à obliger Air Canada à respecter la loi dans le dossier Aveos. Cette initiative n'a pas beaucoup ému M. Harper.

D'autres dossiers, qui n'ont pas fait l'objet d'une résolution à l'Assemblée nationale, illustrent aussi les différends profonds entre Québec et Ottawa ces temps-ci: réforme du Sénat, refonte du programme d'assurance-emploi et des inspections environnementales, pour ne nommer que ceux-là.

Il est pour le moins ironique de voir cet appui soudain à l'Assemblée nationale de la part du gouvernement Harper, lui qui vient d'imposer ses vues unilatéralement dans des champs de compétence partagés, tels l'immigration et l'environnement, avec son mégaprojet de loi C38.

Il y a quelques mois à peine, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Yvon Vallières, disait, un brin découragé, que le gouvernement Harper avait «oublié» le Québec. Certains de ses collègues ont dû faire un pèlerinage à Ottawa dans l'espoir d'être entendus et d'autres encore ont attendu en vain d'être simplement rappelés par leur interlocuteur fédéral.

Et là, tout d'un coup, cette déclaration solennelle aux Communes... Personne n'en sera dupe.

Sans compter que, politiquement, Jean Charest se serait sans doute passé de la bénédiction de Stephen Harper à la loi 78, un appui que ses adversaires ne manqueront pas de rappeler.

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