Vendredi soir, 20h, douce soirée d'été dans Ahuntsic, j'entends les premiers tintements de casseroles se rapprocher.

J'appelle ma fille de 9 ans:

- Béa, si tu veux voir les casseroles, tu devrais sortir, elles seront là sous peu.

- Je ne veux pas seulement voir les casseroles, je veux en jouer moi aussi!

La voilà donc sur le trottoir, à attendre la procession, avec son petit frère de 6 ans et quelques petits voisins, tous armés de casseroles et de cuillères en bois.

Explication de ma fille aux petits manifestants en pyjama qui ne comprennent pas trop ce qui se passe, mais qui sont néanmoins très enthousiastes:

- Le gouvernement ne veut plus qu'on manifeste, alors... on manifeste!

Ah ben mince alors! ai-je pensé, me voilà pris avec une mini-Gabriel Nadeau-Dubois sous mon toit! Une cellule dormante révolutionnaire.

Du coup, j'ai (presque) eu un léger mouvement de sympathie pour Jean Charest. Imaginez, si les enfants de 9 ans fomentent des révoltes et manifestent parce qu'on leur interdit, justement, de le faire!

À l'école, en classe et dans la cour de récréation, ma fille avait entendu parler la semaine dernière de la réplique aux casseroles contre la loi spéciale (78). La question de la hausse des droits de scolarité n'a été que très vaguement évoquée. C'est beaucoup plus large, comme le mouvement des casseroles lui-même.

Traitez-moi de chroniqueur d'humeur qui ne comprend rien au sérieux des chiffres ni au grand capital, mais comme bien d'autres, il y a longtemps que j'ai compris que la «crise» actuelle déborde largement la seule cause étudiante.

En principe, la réaction de ma fille et de ses camarades de classe devrait m'inquiéter. Va-t-elle sortir les casseroles chaque fois qu'elle voudra contester mon autorité? Papa, si tu ne m'achètes pas un nouveau iPod, je sors les Lagostina! Ça promet!

Cela ne m'inquiète pas, en fait. J'aurai toujours plus de facilité à lui expliquer la nécessité, dans toute organisation, du respect d'une autorité juste que de lui dire de se soumettre à des contraintes abusives. De toute façon, pas besoin d'expliquer. Les enfants comprennent très bien cela.

Je l'ai écrit et je le répète, il n'est pas facile pour un gouvernement de négocier avec des associations éparses, dont les leaders ne contrôlent pas nécessairement les membres et qui ont trop longtemps fait preuve d'inflexibilité.

Cela dit, le gouvernement est en grande partie l'artisan de son propre malheur. S'il avait pris le mouvement étudiant au sérieux, nous n'en serions pas là. S'il n'avait pas réduit sa contre-offre d'avril à un vulgaire slogan commercial (50 cents par jour) et s'il avait plutôt insisté sur les gains appréciables faits par les étudiants au régime des prêts et bourses, on aurait pu désamorcer la crise. S'il avait entretenu la discussion avec ceux qui sont «parlables» plutôt que de diaboliser le plus radical. Surtout, s'il n'avait pas joué les matamores avec une loi spéciale qui, en plus, n'a rien réglé. Et s'il avait accepté de parler de cette hausse brusque et injuste, sujet litigieux numéro un.

***

Bon je sais, avec des si... Trop tard pour refaire l'histoire. Il vaudrait mieux se poser des questions pour la suite, d'autant qu'un échec (prévisible) des négociations de la dernière chance risque d'aggraver la crise. Sans vouloir jouer les oiseaux de malheur, qu'est-ce qu'on fait si les pourparlers achoppent encore une fois?

J'ai posé hier la question sur Twitter. Dans le lot, deux réponses revenaient plus souvent: élections ou moratoire sur la hausse des droits de scolarité. Quelques abonnés ont combiné les deux solutions: moratoire, suivi d'élections à l'automne.

Cette idée semble effectivement la plus raisonnable. Elle permet de sauver ce qui peut encore être sauvé de ce trimestre et elle calmerait le jeu dans la rue, au grand soulagement des organisateurs de festivals. Bien sûr, cela ne mettrait pas nécessairement fin aux manifs et aux casseroles, qui sont devenues des activités sociales et festives, mais les étudiants devraient accepter ce qu'ils réclament depuis des mois.

Personne n'a évoqué la démission de Jean Charest, ce qui, pourtant, devrait, au moins théoriquement, faire partie des options.

En cas d'échec aujourd'hui, ou demain, Jean Charest pourrait-il décider d'en appeler au peuple, dans un geste solennel, lui dire que l'intransigeance des étudiants et du Parti québécois ne lui laissent pas le choix, et déclencher des élections maintenant (scrutin au début du mois juillet)? C'est douteux, mais pas impossible. Rien ne l'empêcherait de le faire, et on sait qu'un faible taux de participation électoral favorise les libéraux. La convention veut toutefois qu'on ne tienne pas d'élections au Québec entre la Fête nationale et la fête du Travail.

Ce scénario doit néanmoins être tentant pour Jean Charest, survivant politique ultime. S'il y a une bonne nouvelle pour lui à la fin de ce printemps, c'est que malgré toute la grogne ambiante, malgré les manifs et les casseroles, le PLQ reste compétitif, au point où des stratèges libéraux parlent de la perspective d'un gouvernement Charest minoritaire avec un certain enthousiasme. Au point où ils en sont...

Il semble en effet que le grand perdant politique des derniers mois soit le PQ. Position changeante, récupération de cause, passé douteux aux yeux des étudiants, Mme Marois n'a pas réussi à se détacher en tête de peloton durant cette crise.

Québec solidaire, par contre, pourrait sortir grand gagnant de cette saison agitée. Cela ne paraît pas dans les sondges nationaux, mais le son des casseroles dans certains quartiers de Montréal pourrait être précurseur de victoires dans (en plus de Mercier) Rosemont, Gouin, Hochelaga-Maisonneuve, Sainte-Marie-Saint-Jacques.