«Ce n'est pas le temps d'isoler notre province, nous faisons partie du Canada, nous en sommes fiers, nous avons beaucoup contribué à ce pays et nous devons continuer.»

Non, ce n'est pas un cri du coeur fédéraliste de Jean Charest, de Thomas Mulcair ou de Stéphane Dion, mais bien un plaidoyer pro-unité canadienne de la première ministre sortante de l'Alberta, Alison Redford.

La chef du Parti conservateur albertain était de passage lundi soir dans sa circonscription de Calgary, où j'ai pu échanger quelques mots avec elle après son discours devant des militants dans un centre communautaire juif.

La dame est visiblement fatiguée et son discours très défensif démontre qu'elle sait fort bien que son parti, qui règne sur l'Alberta depuis 41 ans, est poussé dans les câbles par un nouvel acteur: le parti Wildrose, de la jeune chef Danielle Smith.

Ce soir-là, une rumeur voulant que la femme de l'ex-premier ministre Ralph Klein ait quitté le PC pour le Wildrose est venue bousiller le plan de campagne de Mme Redford.

Le Parti conservateur albertain est en crise. Plusieurs de ses membres bien en vue, dont Danielle Smith, ont quitté la barque pour se joindre au Wildrose, qui est maintenant en tête dans les sondages en vue des élections de lundi. En plus, une querelle de famille a éclaté entre le clan Redford (appuyé par l'ancien premier ministre Peter Lougheed) et le clan de Ralph Klein. M. Klein souffre d'alzheimer à un stade très avancé et a disparu de la scène publique, mais ses supporteurs n'ont pas apprécié les critiques du duo Redford-Lougheed.

Lundi soir, l'éloge du fédéralisme de Mme Redford et l'énumération des dépenses de son gouvernement en santé et en éducation sonnaient plus... libéral que conservateur. C'est précisément ce que beaucoup d'Albertains lui reprochent. Des dépenses sociales en hausse, des augmentations de salaire aux députés, des investissements en environnement et, ô horreur, des déficits! Les Albertains sont allergiques aux déficits (même à un petit déficit de 1,3 milliard qui sera bien vite effacé) et ils reprochent aux conservateurs d'avoir continué de dépenser au lieu de fermer le robinet.

De plus, les Albertains ont été scandalisés d'apprendre que des députés ont reçu un boni de 1000$ par mois pour siéger à un comité qui ne se réunissait jamais.

Dans le coin droit, beaucoup plus à droite que le PC de Mme Redford, Danielle Smith promet de réduire le salaire des élus de 30%, de permettre le recall (renvoi, par les électeurs, d'un député en cours de mandat), des votes libres, un plafonnement des dépenses, une loi antidéficit, une diminution des dépenses en environnement, une accélération du développement des sables bitumineux et le versement direct d'un «dividende énergie» aux Albertains à même les revenus du pétrole (1 milliard en 2015, soit 300$ à chaque Albertain).

La chef du Wildrose s'engage, en outre, à contester la formule actuelle des transferts fédéraux aux provinces et de la péréquation, qui désavantagent gravement l'Alberta selon elle. Le Wildrose estime que l'Alberta verse à Ottawa 21 milliards de plus que ce qu'elle reçoit en retour.

Mme Smith ne s'en cache pas: elle a un gros problème avec le Québec, qui profite du boom pétrolier albertain, dit-elle, mais qui critique ouvertement l'exploitation du pétrole «sale» des sables bitumineux.

Elle a donc fait sienne la théorie du «mur coupe-feu» (firewall), une approche développée par un certain Stephen Harper il y a une douzaine d'années et qui visait à donner la priorité au développement de l'Alberta plutôt qu'à sa participation à la fédération.

«C'est une grave erreur, m'a dit la première ministre Redford. Cela va isoler l'Alberta au moment où nous avons besoin de travailler avec les autres provinces.»

Mme Redford ne va pas jusqu'à dire que le Wildrose est une menace au Canada, mais clairement, elle le pense.

N'empêche, Danielle Smith fonce et plaide pour l'affirmation forte de sa province, reprenant, ce qui est ironique, des éléments bien connus des Québécois: un système de perception des impôts distinct, une propre régie des rentes provinciale, la formation d'une police provinciale (en plus de la GRC). Le Wildrose reprend par ailleurs une idée adoptée par le Parti québécois: les référendums d'initiative populaire.

Selon plusieurs analystes favorables au Wildrose, dont Sam Armstrong de la National Citizens Coalition (groupe de réflexion et de pression de droite), le discours sur la péréquation est d'abord électoraliste. «Ça fait de la bonne rhétorique électorale, mais ça n'ira pas plus loin, dit-il. Comment voulez-vous changer la péréquation avec le fédéral et les autres provinces? Comment faites-vous cela? Ce n'est pas faisable.»

Ce qui est parfaitement faisable, par contre, c'est d'accélérer l'exploitation pétrolifère et gazière en Alberta et, sur ce sujet, Danielle Smith et Stephen Harper sont au diapason.

La chef du Wildrose ne manque jamais une occasion de faire l'éloge des pétrolières et elle a admis cette semaine douter des preuves scientifiques des changements climatiques.

Le Wildrose porte bien son nom: ce parti est typique des terres albertaines et, comme toutes les roses, il se défend avec de nombreuses épines.

vincent.marissal@lapresse.ca