Ce n'est pas que le boeuf bourguignon servi hier midi à la chambre de commerce de Montréal n'était pas bon, au contraire, mais les quelque 1100 personnes présentes sont tout de même restées sur leur faim.

Jean Charest a longuement parlé de son Plan Nord, avec aisance et détermination, sans texte, quittant souvent le lutrin pour aller situer certains projets sur une grande carte. Le ton et le style étaient beaucoup plus décontractés que ce que l'on entend généralement à cette très sérieuse tribune.

De plus, M. Charest avait convié une douzaine de ses ministres et députés pour ce discours au Palais des congrès, comme pour bien insister sur l'importance du Nord pour son gouvernement.

Sur la forme, pas de problème, c'est sur le fond que ça cloche.

Les gens à qui j'ai parlé après la présentation du premier ministre s'entendaient pour dire qu'il s'agit d'un «beau et grand projet» au «potentiel énorme» et que c'est une occasion à saisir pour le Québec.

Tout le monde reconnaît aussi que Jean Charest est un excellent vendeur. Le problème, c'est que, pour le moment, le produit est plutôt mince et que les exemples d'investissement avancés hier par M. Charest sont déjà connus depuis un bon moment. Pour ces gens d'affaires habitués aux lunchs de la chambre de commerce, le Plan Nord est davantage un ambitieux projet politique qu'un plan d'affaires concret.

On sent souvent, lorsque Jean Charest parle du Plan Nord, cet écart entre son enthousiasme (l'immensité et la beauté du territoire, les milliards en investissement, les entreprises étrangères qui bavent d'envie, ces métaux et ces diamants...) et la réalité d'un plan qui n'en est qu'à ses balbutiements et pour lequel nous avons plus de questions que de réponses.

Parmi ces questions: comment s'assurer que nous garderons le contrôle du territoire et de ses ressources devant des géants étrangers prêts à investir des milliards pour se l'approprier?

Un proche conseiller du premier ministre, tout juste de retour d'une mission commerciale en Asie pour vendre le Plan Nord avec son patron, me racontait récemment l'impatience des Chinois, notamment.

«On rencontre des investisseurs qui nous demandent s'ils peuvent débarquer avec leur propre main-d'oeuvre, chinoise, évidemment, me disait-il. Quant aux études environnementales, ils nous demandent si on peut faire ça en deux semaines, question de ne pas perdre de temps...»

Ce genre de demande est accueilli par une gros «NON, pas question, c'est pas comme ça que ça fonctionne au Québec», m'assure-t-on. Je veux bien, mais les principes courbent parfois l'échine devant les milliards. Surtout lorsqu'on est aussi pressé de concrétiser le Plan Nord.

Je ne suis pas en train de dire que Jean Charest va vendre le Québec au kilo (pour paraphraser le groupe Genesis) aux investisseurs étrangers, mais pas besoin d'être un génie de la politique pour comprendre qu'il doit avoir autre chose que des slogans ronflants sur le Plan Nord à présenter aux électeurs lors de la prochaine campagne électorale.

Faute de nouvelles annonces d'investissement, Jean Charest a amené le dossier sur le terrain politique, hier devant la chambre de commerce.

Récupérant habilement les propos positifs de Jacques Parizeau sur les modifications nécessaires et louables apportées au régime de redevances et d'imposition des compagnies minières, il a affirmé que cette question «est réglée». Rien de moins: c'est «réglé» ! Allez, on passe à un autre appel.

«Moi, je peux vous dire que Pauline Marois et le PQ, dont c'était un cheval de bataille, ne parleront plus de ça à l'Assemblée nationale, a-t-il dit hier au point de presse après son discours. Jacques Parizeau a clos le débat.»

Peut-être dans l'arène très partisane de l'Assemblée nationale, mais on entend et on lit encore bien des questions sur ce sujet tous les jours, non?

Mais le gouvernement tolère mal les critiques et les questions sur son régime de redevances. Yvan Allaire, économiste émérite, me disait récemment que la porte du ministre des Finances, Raymond Bachand, avec qui il s'entendait pourtant plutôt bien, s'est soudainement fermée depuis qu'il a dénoncé le modèle de redevances retenu par Québec.

Jean Charest a politisé le débat un cran plus loin en affirmant que l'occupation du territoire et l'extraction de ses richesses naturelles par le Québec confirmeraient éventuellement la souveraineté du Canada dans le Grand Nord, et, ultimement, sur le nouveau passage maritime contesté sur la scène internationale.

Voilà qui fera plaisir à Stephen Harper, qui a fait de la souveraineté canadienne dans le Grand Nord une priorité d'État.

Sur l'environnement, par contre, il règne de nouveau un froid arctique entre Québec et Ottawa, qui s'apprêterait à se retirer définitivement du protocole de Kyoto.

Jean Charest n'a pas pris de détour, hier, pour dire que le gouvernement Harper faisait fausse route et qu'il devait faire plus pour protéger l'environnement.