Entre l'effondrement des Bourses et des poutres d'autoroute, les émeutes à Londres et les massacres en Syrie, la mission de l'OTAN (à laquelle le Canada participe) a un peu de mal à se tailler une place dans les bulletins d'informations.

Le fait est que les questions de politiques étrangères canadiennes font peu de bruit en général, peu importe la saison.

C'est encore plus vrai au Québec, où la Libye passe complètement sous le radar alors que le ROC garde tout de même un oeil sur ce coin du monde. Une autre manifestation des deux solitudes, sans doute...

Mais que l'on soit de Victoria, de Saskatoon ou de Montréal, on devrait porter attention à cette mission en Libye et à ses répercussions politiques, diplomatiques et juridiques là-bas, mais ici aussi. D'autant que le prolongement de l'implication canadienne adoptée à toute vapeur par la Chambre des Communes en juin vient à échéance fin septembre et que le dossier reviendra assurément au Parlement.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que notre implication militaire contre le régime Khadafi et ses effets jusqu'à Ottawa baignent pour le moment dans un flou inquiétant.

Quelques questions sans réponses: quel est le but militaire de la mission militaire en Libye, quel est l'objectif? (Officiellement: protéger les civils et mettre la pression sur le régime du Colonel Khadafi, mais encore?) Combien de temps participerons-nous à cette mission? A-t-on fait des progrès et, si oui, lesquels? Quelles sont les prochaines étapes et a-t-on une stratégie de sortie?

À Ottawa, le sort du régime Khadafi et la suite advenant son renversement apportent aussi plus de questions que de réponses. À vrai dire, on navigue ici en plein brouillard.

Commençons par l'aspect militaire de la mission.

Depuis mars, le Canada participe à la mission de l'OTAN avec 655 soldats, 12 avions et 1 navire. À ce jour, les avions canadiens ont fait 1077 «sorties», dont 665 par les chasseurs CF-18. Il y a deux mois, on estimait à 26 millions les coûts de la participation du Canada.

Impossible, toutefois, de savoir vraiment ce que font nos Forces armées en Libye puisque la mission est sous contrôle de l'OTAN. Nos chasseurs ont-ils été impliqués dans des bavures contre des civils (la dernière aurait fait 85 morts dimanche dernier)? On ne le saura vraisemblablement jamais.

Combien de temps encore resterons-nous en Libye (en fait, au-dessus de la Libye)?

Réponse de Chris Day, porte-parole du ministre de la Défense, Peter MacKay: «Les civils en Libye sont toujours menacés par le régime Kadhafi. Le Canada s'est engagé dans une mission de l'OTAN visant à protéger les civils en Libye. Cette mission a été approuvée et prolongée par le Parlement. Notre gouvernement continuera d'évaluer la mission à l'approche de l'échéance concernant le prochain vote à la Chambre.»

Le gouvernement Harper étant majoritaire, il est fort probable que la mission soit de nouveau prolongée, malgré l'opposition du NPD, qui réclame la fin de notre participation.

Protéger les civils, chasser le dictateur, soit, voilà de nobles objectifs, mais s'en rapproche-t-on? Rien n'est moins sûr.

La semaine dernière, le major-général Jonathan Vance, directeur de l'état-major interarmées stratégique, a dû admettre devant le comité des Affaires étrangères des Communes que «la situation a été décrite comme plutôt statique, ce qui est vrai...».

«Nous assistons à des améliorations progressives, a-t-il continué. Le progrès est lent et stable. Nous ne voyons pas de renversement de situation.»

Le major-général était plutôt réticent et contrarié de devoir répondre aux questions des députés sur cette mission. Normal, les militaires fonctionnent normalement avec des ordres clairs, des objectifs précis, des stratégies basées sur l'atteinte de ces objectifs. Le major-général commandant les actions de l'OTAN en Libye, le Canadien Charles Bouchard, a récemment nié que sa mission est dans une impasse.

Comme la première phase de bombardements aériens américains en Afghanistan et en Irak en 2002 et 2003, comme les frappes aériennes de l'OTAN au Kosovo en 1999, cette nouvelle démonstration de force en Libye démontre clairement les limites des «guerres chirurgicales» menées à 10 000 mètres d'altitude.

D'un point de vue philosophique, les députés fédéraux devront aussi se poser la question suivante: libérer la Libye de Khadafi, soit, mais pourquoi pas aussi la Syrie, où un autre dictateur massacre impunément son peuple?

La guerre contre le régime de Khadafi fait rage aussi à Ottawa, sur les fronts juridique et diplomatique, cette fois.

Ottawa, comme l'ONU, ne reconnaît plus le régime du colonel Khadafi et considère maintenant le Conseil national de transition (CNT) de la Libye comme représentant légitime du peuple libyen. Le hic, c'est que le CNT, en qui la communauté internationale a mis tous ses efforts pour déloger Khadafi, piétine sur le terrain et connaît, de plus, des déchirements internes.

Le gouvernement canadien a expulsé les derniers représentants du régime Khadafi (ceux-ci ont demandé l'asile politique au Canada), fermé l'ambassade et gelé ses fonds ici. Ottawa voudrait maintenant transférer ambassade, titre et fonds aux représentants du CNT. Simple en théorie, mais en pratique cela représente un sérieux imbroglio juridique.

En entrevue au Globe and Mail, il y a quelques jours, le professeur et ancien diplomate Louis Delvoie a affirmé qu'il est trop tôt pour reconnaître officiellement (avec un titre d'ambassadeur) le CNT parce que celui-ci n'a pas le plein contrôle du territoire libyen et à cause de l'instabilité de cette organisation rebelle.

Aux Affaires étrangères, on cherche une issue à cette impasse.

Le fait de reconnaître le CNT comme «représentant légitime du peuple libyen» ne veut pas dire que le Canada entretient des relations avec le CNT à titre de gouvernement de la Libye. Nous reconnaissons les États, pas les gouvernements.

Pour ce qui est d'une représentation potentielle du CNT au Canada, «nous examinons toutes les options», m'a-t-on répondu, par écrit, lorsque j'ai demandé comment peut-on, légalement, donner les clés et les coffres de l'ambassade libyenne à un groupe d'opposition qui n'est pas au pouvoir dans son pays.

Pour résumer en une phrase la situation, il semble bien que nous nous soyons encore une fois embarqués dans une guerre sans objectifs militaires précis et sans buts politiques clairs.