Ils étaient quatre chefs sur scène, mais le débat s'est surtout limité à deux, Gilles Duceppe et Jack Layton. Et malgré l'avantage de la langue, du terrain et de l'expérience du premier, c'est le second qui a marqué le plus de points.

Cela ne changera vraisemblablement rien à l'hégémonie du Bloc québécois, mais en luttant contre Gilles Duceppe, Jack Layton risque surtout d'avoir fait mal à Michael Ignatieff.

Comme la veille, le chef libéral a eu du mal à s'imposer. Il a bien présenté ses propositions, notamment en santé et en éducation, mais il s'est retrouvé le plus souvent exclu des débats entre Gilles Duceppe et Jack Layton. Tout comme Stephen Harper, d'ailleurs, mais il ne s'en plaindra certainement pas.

Le hasard a voulu que Gilles Duceppe et Stephen Harper soient côte à côte, ce qui a rappelé que c'est vraiment entre ces deux-là que ça devrait se jouer au Québec. La forte présence de Jack Layton, à gauche de l'écran, est venue changer la donne.

Selon les plus récents sondages, le NPD de M. Layton se place deuxième ou troisième au Québec dans les intentions de vote et clairement premier comme «deuxième choix» des Québécois. M. Layton ne passera pas de 1 à 10 sièges au Québec grâce à ce débat, mais il a peut-être convaincu quelques indécis de voter orange. Mauvaise nouvelle pour les libéraux.

Ce débat confirme une impression qui se dessine déjà depuis quelque temps: la voix fédéraliste la plus forte contre les conservateurs de Stephen Harper est, de plus en plus souvent, celle de Jack Layton, pas celle de Michael Ignatieff.

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Gilles Duceppe avait un avantage évident en arrivant à ce débat en français. Cet avantage venait toutefois avec une pression supplémentaire: on s'attendait à rien de moins qu'une victoire du chef bloquiste contre ses adversaires, en particulier contre Stephen Harper.

M. Duceppe connaît ses dossiers à fond et sa ligne favorite, «quand c'est bon pour le Québec, j'appuie, sinon, je m'y oppose, et j'assume les conséquences», tient bien la route, mais il semblait nerveux, à cran, querelleur, même, surtout contre Jack Layton.

Mauvaise idée de s'en prendre au chef qui inspire le plus de sympathie. Surtout que l'on aurait cru que la cible principale de M. Duceppe aurait été M. Harper. Ce dernier n'a pas été trop embêté. Par moments, c'est juste si on ne l'entendait pas ronfler. Stephen Harper n'a pas gagné le débat, mais il ne l'a pas perdu non plus. Au final, il ne sort pas plus mal en point de l'exercice.

Gilles Duceppe n'a apparemment pas vu venir les coups de Jack Layton, notamment quand celui-ci lui a rappelé que son député d'Abibiti a tenu des propos désobligeants contre les autochtones ou quand il lui a lancé «M. Harper est encore là» au moment où le chef du Bloc venait de dire que seul son parti pouvait s'interposer devant les conservateurs.

M. Duceppe s'est aussi fait reprocher par M. Layton d'être arrogant parce qu'il affirme que le NPD ne peut prendre le pouvoir. «C'est un peu arrogant, a répliqué le chef néo-démocrate. Je m'attends à entendre ça de la part de M. Ignatieff, mais pas de vous.» Ouch.

Gilles Duceppe a sans doute ravi sa base, toutefois, en parlant beaucoup de souveraineté. Jamais mauvais pour mobiliser les troupes, les militants et les électeurs à moins de trois semaines du vote.

Pas de doute, il sera accueilli en héros au congrès du PQ, en fin de semaine à Montréal, ce qui lui assurera une couverture rêvée.

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Michael Ignatieff a été encore une fois desservi par le format du débat (qui permettait peu d'échanges directs entre lui et M. Harper) et par le fait d'être physiquement isolé, loin à la droite de l'écran.

La première manche, portant sur une éventuelle coalition, a donné lieu à une prise de bec entre MM. Layton, Duceppe et Ignatieff, ce qui aura finalement bien servi Stephen Harper.

Le chef conservateur s'en est tenu à un plan de match minimaliste: parler d'économie et proposer, d'emblée, aux électeurs la possibilité d'élire un gouvernement majoritaire stable.

Il a toutefois étiré quelque peu les faits en affirmant, notamment: «Je dirige un gouvernement minoritaire depuis cinq ans, un record, parce que nous collaborons et nous cherchons des compromis.» Pas mal, tout de même, pour un premier ministre qui a fermé le Parlement deux fois par prorogation et qui a essayé de faire passer une attaque frontale contre les partis de l'opposition pour une mise à jour économique.

M. Harper a aussi justifié les coupes de subventions à certaines ONG en disant que l'«argent doit servir à aider vraiment les gens, pas juste à parler».

Pas mal pour un chef de gouvernement qui a dépensé 1 milliard l'été dernier pour les réunions du G8 et du G20.