«Combien de cartes de crédit avez-vous?» a crié un reporter à Jack Layton alors qu'il quittait en boitant le point de presse matinal, organisé au beau milieu d'une petite rue résidentielle de Brant, en Ontario.

«J'en ai quelques-unes et j'enrage chaque fois que je lis les petits caractères!» a répondu le chef néo-démocrate du tac au tac en appuyant lourdement sur le «j'enrage» pour bien faire passer son message.

Il a perdu un peu de poids, il marche à l'aide d'une canne, il semble avoir vieilli plus dans la dernière année qu'au cours de la dernière décennie, mais il n'a rien perdu de son humour, de sa vivacité d'esprit, de son enthousiasme lorsqu'il parle de politique et de ses idéaux de gauche.

Il n'y a que Jack Layton, sur la scène nationale, pour s'en prendre aux grandes banques, comme il l'a fait hier matin, et promettre une loi pour plafonner les taux d'intérêt des cartes de crédit.

«Les banques font déjà assez d'argent comme ça, elles n'ont pas à se montrer injustes envers les Canadiens ni à les flouer», a-t-il répété toute la journée - une longue journée d'une dizaine d'heures.

M. Layton, qui a combattu un cancer de la prostate dans les derniers mois en plus de se faire opérer à la hanche il y a quelques semaines, récupère rapidement, mais il doit toutefois faire attention. Durant les longs vols, il doit se lever toutes les heures pour faire quelques pas et, même s'il a repris l'activité physique, il est loin de sa forme d'antan (durant la dernière campagne, il s'entraînait deux fois par jour!).

Dans son état, une campagne électorale, c'est comme la cigarette: le danger croît avec l'usage. Le rythme des campagnes a tendance à s'accélérer au fil des semaines, pour finir inévitablement en course folle.

C'est particulièrement vrai en Ontario, où M. Layton fait campagne encore aujourd'hui et où il reviendra souvent d'ici au 2 mai (il sera à Montréal demain).

La bataille, ici, s'annonce épique, et il faut peu de temps pour se rendre compte que cette éventuelle coalition PLC-NPD appuyée par le Bloc québécois est un sujet chaud. On comprend aussi mieux pourquoi Stephen Harper a tant insisté pour en parler (peut-être un peu trop, même) et pourquoi Michael Ignatieff préfère éviter le sujet.

Lundi, le Toronto Sun a mis une photo de Michael Ignatieff à la une, sous l'énorme titre: «Seulement 17% croient la promesse d'Iggy» (de ne pas former un gouvernement de coalition).

Jack Layton, lui, est favorable à une coalition. Il estime que l'on ne peut exclure d'emblée toute forme de collaboration au Parlement si un nouveau gouvernement minoritaire est élu. Des auditeurs le lui ont d'ailleurs reproché, hier, à une tribune radiophonique à Kitchener.

Cette histoire de coalition prend trop de place au goût des néo-démocrates, qui accusent Stephen Harper de taper sur ce clou pour détourner l'attention de son bilan ainsi que du fait que son gouvernement a été reconnu coupable d'outrage au Parlement et renversé à cause de cela.

«Les gens ne votent pas sur une coalition, mais pour élire un gouvernement», disait, agacé, un collaborateur de M. Layon, hier matin, pendant qu'on attendait ce dernier dans un vent glacial.

Les néo-démocrates, eux, aimeraient mieux parler d'aide aux familles, de santé et de programmes sociaux. Ils ne sont pas les seuls, d'ailleurs, à prétendre être le véritable parti des familles. C'est un thème à la mode à chaque campagne, et peut-être encore plus cette fois-ci.

Le ton hargneux du début de campagne détonne toutefois avec l'image compatissante que voudraient projeter les chefs, en particulier Stephen Harper, qui a fait sienne la maxime qui dit que la meilleure défense est l'attaque.

Gilles Duceppe aussi semble à cran, en ce début de campagne. Lundi, lorsqu'il a dévoilé le (très ordinaire) slogan du Bloc, il a laissé éclater tout son agacement devant des journalistes qui demandaient où était passé le mot souveraineté. Ça ne sera pas beau dans quelques semaines si le chef perd patience dès le jour 3...

Les deux autres chefs, Michael Ignatieff et Jack Layton, ont, au contraire, adopté et maintenu à ce jour un ton respectueux, et ils ont évité les attaques personnelles. Leurs plus récentes pubs, surtout la pub libérale destinée au Québec, sont positives au point de détonner dans le climat actuel. Pourtant, ce sont eux qui partent derniers.

Les deux dernières sessions parlementaires ont été dures. Tout le monde est échaudé par les batailles aux Communes, et il n'y a pas beaucoup d'amitié entre les chefs, m'a fait remarquer un proche conseiller de Jack Layton. Il est plus difficile de se concentrer sur son plan de campagne et de garder son sang-froid dans un tel contexte.

Parlant de suivre son plan de match, il semble que M. Harper, à force de s'acharner sur ses adversaires, ait oublié la recette de son succès des deux dernières campagnes: mener sa propre campagne, suivre sa partition et forcer les autres à réagir à ses annonces.

De plus, comble de malheur pour un chef reconnu pour sa propension à tout régenter, les conservateurs sont victimes de «tirs amis».

Dans les 24 dernières heures, l'ancien conseiller de M. Harper Tom Flanagan a affirmé que M. Harper voulait bel et bien destituer Paul Martin et prendre le pouvoir à la tête d'une coalition.

Puis, une députée du Manitoba a dit d'une voisine de circonscription libérale de 68 ans qu'elle avait dépassé sa date de péremption.

Enfin, le candidat-vedette des conservateurs à Montréal, Larry Smith, a déclaré au Devoir que la défense du français est une affaire du passé.

Beaucoup de distraction pour un chef qui n'aime pas les surprises.