Un malheur, c'est bien connu, n'arrive jamais seul. Dans le cas d'Haïti, les malheurs, c'est comme les Timbits, ça arrive par paquets de 20, le dernier en date étant l'arrivée aussi imprévue que grotesque de Bébé Doc.

Cet événement surréaliste semble avoir pris tout le monde de court, y compris les pays «amis» d'Haïti, dont le silence n'a fait qu'épaissir le mystère autour de cette réapparition.

Il a fallu deux jours à notre ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, pour réagir: mardi, il s'est dit soulagé que Bébé Doc ait été accusé.

Au nom de la souveraineté nationale, on ne voudrait surtout pas donner l'impression de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas. On fait donc comme si Haïti était un pays normal, comme les autres, avec un gouvernement en pleine possession de ses moyens.

Bref, que la justice haïtienne s'occupe de Bébé Doc, ce n'est pas de notre ressort, comme si ça allait de soi.

Cet épisode illustre bien la relation entre Haïti et ses pays amis. On veut aider, on y consacrera des milliards, mais tout ça sans plan, sans direction claire, en s'en remettant à un État exsangue qui doit répondre aux immenses besoins d'un peuple désespéré.

Depuis un an, la communauté internationale navigue à vue dans le brouillard en Haïti, en attendant je ne sais trop quoi. Nous sommes en pleine improvisation dans le chaos, et le Canada ne fait pas mieux que les autres à ce chapitre.

Depuis un an, qu'a-t-on vraiment fait pour aider Haïti à se relever? Et quel est le plan pour la suite? À quoi serviront les centaines de millions qu'ont donnés les Canadiens? Les enverra-t-on encore une fois dans le grand trou sans fond? Quel sera notre rôle? Qui est responsable des efforts canadiens?

L'article de ma collègue Caroline Touzin sur les dépenses canadiennes dans le domaine de la sécurité résume bien les ratés de nos interventions et de nos promesses en Haïti.

Au départ, souvenez-vous, lorsque Stephen Harper a débarqué à Port-au-Prince quelques jours après le tremblement de terre, le Canada s'était engagé à construire un siège temporaire pour le gouvernement. Mais comme les autorités haïtiennes ne voulaient rien savoir de se déplacer à l'endroit choisi, le projet a été abandonné.

Par la suite, la ministre du Développement international (ACDI), Bev Oda, est arrivée dans la capitale haïtienne pour annoncer des fonds pour un hôpital... déjà prévu avant même le tremblement de terre.

Un peu partout dans les rues de la capitale, la communauté internationale et les ONG se lancent dans des initiatives sans aucune coordination, sans priorité apparente, sinon celle de laisser sa marque avant l'autre. On peut bien dire et répéter que les Haïtiens ne savent pas gérer, on n'a pas fait la preuve à ce jour que nous sommes beaucoup plus efficaces.

Un exemple parmi d'autres: la construction d'écoles.

La communauté internationale, dans sa sagesse, a décidé qu'il fallait de toute urgence renvoyer les élèves sur les bancs d'école. On a donc construit ici et là des écoles avec des toits de tôle... en plein soleil! Essayez ça, l'été prochain: asseyez-vous dans votre auto sous un soleil de plomb (même avec les fenêtres ouvertes) et voyez combien de temps vous tiendrez.

Idem pour les élections.

C'est la communauté internationale qui voulait des élections, pas les Haïtiens - à part l'élite intellectuelle, qui n'est pas toujours (c'est un euphémisme) le reflet de la volonté du peuple.

Le peuple veut sortir des camps boueux, mais la communauté internationale lui a donné des élections, avec le prévisible résultat chaotique dans lequel le pays est aujourd'hui plongé.

Selon Lawrence Cannon, seule l'élection d'un gouvernement dans un processus libre et démocratique peut permettre à Haïti de lancer son plan de sauvetage. C'est peut-être ce que l'on répète dans les salons des grandes capitales du monde mais, sur le terrain, ça ne tient pas la route.

Plutôt que de se préoccuper du scrutin en Haïti, le gouvernement canadien devrait s'occuper de ses millions et mettre en place un mécanisme de suivi.

S'il veut réellement jouer un rôle à la hauteur de ses relations avec Haïti, le Canada devrait aussi, enfin, nommer un envoyé spécial chargé de coordonner nos efforts là-bas.

Les conservateurs ont songé à cette option l'an dernier et ont même sondé l'intérêt d'au moins un candidat possible.

S'il pouvait mettre un instant ses sentiments partisans de côté, Stephen Harper pourrait proposer le poste à son prédécesseur, Jean Chrétien, un homme qui me semble répondre aux exigences d'un tel poste et dont les entrées dans la francophonie, en Afrique et dans les Antilles permettraient au Canada d'exercer un leadership constructif dans un pays ami qui en a bien besoin.