Lorsqu'un patient est aux prises avec un mal tenace, deux approches peuvent aggraver son cas: ne pas le traiter du tout, ou le «surtraiter» avec des remèdes inadéquats et contre-indiqués. Tout est dans le dosage.

La prescription s'applique aussi à la démocratie. Notre système politique et électoral est malade, certes, mais certains remèdes proposés risquent de produire des effets secondaires encore plus graves que la maladie.

C'est le cas de la proposition de Pauline Marois, qui veut limiter à 10 ans (ou à deux mandats) le règne du premier ministre et à 12 ans celui des maires des villes de plus de 5000 habitants.

Dans le cas du premier ministre, le débat est purement symbolique puisqu'une telle longévité est rarissime au Québec (et ailleurs au Canada). Le dernier à avoir occupé le fauteuil de premier ministre pendant plus de 10 ans est Robert Bourassa (6 ans de 1970 à 1976 et 8 ans, de la fin de 1985 au début de 1994). Et encore, il ne l'a pas fait de façon consécutive.

Si la limite proposée par Mme Marois avait été en vigueur à l'époque, Robert Bourassa aurait dû quitter ses fonctions en 1989, après 10 ans cumulatifs. Or, il s'est représenté, et les Québécois lui ont redonné une majorité de 92 sièges sur 125 à l'Assemblée nationale, ce qui démontre qu'il était encore pour eux l'homme de la situation, même après 10 ans.

Les effets de la proposition Marois seraient beaucoup moins symboliques dans les villes, qui gardent souvent leur maire pendant de plus longues périodes. Il est déjà suffisamment difficile de recruter des gens de qualité prêts à servir leurs concitoyens (les dossiers municipaux, comme le ramassage des ordures ou l'achat de camions pour la voirie, sont souvent assez peu glamour...), s'il faut en plus limiter les mandats de ceux qui le font bien, on risque de compliquer encore un peu la situation.

Plus généralement, au-delà de l'efficacité d'une telle loi, le problème est qu'elle envoie le message qu'un premier ministre ou un maire est nécessairement dépassé après 10 ans, comme si la compétence et l'expérience n'avaient plus d'importance.

Que cette proposition vienne d'une femme qui est en politique depuis 35 ans, c'est plutôt étonnant. Le plus ironique, c'est que les détracteurs de Mme Marois lui reprochent très souvent d'être en politique depuis trop longtemps, de s'accrocher et de ne pas être capable de se renouveler.

Par ailleurs, Mme Marois défend son projet en disant qu'il faut renouveler les idées et rétablir la confiance des Québécois envers leurs institutions. Cela envoie un autre message négatif: le danger de corruption croît avec le nombre des années en poste.

Élu pour la première à l'hôtel de ville de Montréal en 2001, Gérald Tremblay atteindra sa «date de péremption» en novembre 2013. Je suis bien d'accord pour dire que M. Tremblay devrait céder sa place à quelqu'un d'autre. Parce qu'il manque furieusement d'audace et d'ambition (ce qui n'est pas nouveau, d'ailleurs), mais certainement pas parce qu'il est malhonnête. Seulement, voyez-vous, les Montréalais l'ont réélu l'an dernier pour quatre ans en toute connaissance de cause et il a donc toute la légitimité pour terminer ce mandat. De toute façon, vous voyez qui pour le remplacer? Mais ça, c'est un autre débat...

La réaction de Pauline Marois semble impulsive et dictée davantage par des objectifs électoralistes que par une vision d'ensemble de nos problèmes de moeurs politiques.

Idem pour la position du Parti québécois, qui réclamait que l'on abaisse à 500$ le plafond des dons (le PQ s'est finalement rallié à la proposition du gouvernement de les plafonner à 1000$ par année).

À force de lier systématiquement financement des partis et activités occultes ou dons aux partis et recherche d'avantages, on court le risque de se retrouver dans une situation où plus personne ne voudra donner.

Il faut rappeler que les dons des entreprises aux partis politiques sont interdits depuis 1977 au Québec et que le plafond pour les particuliers a été gelé à 3000$ depuis cette date avant d'être abaissé à 1000$ cette année.

Limiter les dons des particuliers, voire les interdire, n'empêchera pas un entrepreneur véreux de donner des enveloppes pleines d'argent liquide à des organisateurs peu scrupuleux. Ceux-là n'ont jamais observé la loi et ne l'observeront pas tant qu'ils trouveront quelqu'un pour accepter les enveloppes.

Abaisser le plafond des dons rend plus compliqué le stratagème des prête-noms (parce qu'il faut impliquer plus de monde dans une entreprise pour arriver à la même somme), mais cela pourrait rendre plus attrayant le recours à l'enveloppe brune.

Cela dit, Mme Marois a bien raison lorsqu'elle dit que la classe politique a du mal à se renouveler (même si, encore là, il est ironique que cela vienne d'elle!).

Le problème, toutefois, n'est peut-être pas tant dans le financement des partis que dans l'encrassement et le corporatisme de ces partis, qui ne savent plus et ne veulent plus se renouveler. Qui étouffent la relève et redoutent la dissidence comme la peste.

L'«effet Amir Khadir» devrait en ce sens fournir à nos élus matière à réflexion. Les électeurs ne sont certainement pas toujours d'accord avec tout ce qu'il dit, mais ils aiment toutefois qu'il puisse le dire.