Tiens, tiens... Mais dites donc, serait-ce Stephen Harper que l'on voit, là-bas, dans l'ombre, en train de négocier en cachette une prolongation de la mission canadienne en Afghanistan avec le chef libéral, Michael Ignatieff?

Le premier ministre qui essaye d'obtenir l'accord du chef de la dangereuse coalition socialisto-séparatiste sur un élément fondamental de sa politique étrangère? M. Harper s'abaisse à demander leur approbation aux libéraux, qu'il a déjà accusés d'être du même bord que les talibans?

Le plus drôle de l'affaire, c'est que les deux hommes s'entendront vraisemblablement sur le maintien d'un contingent «non combattant» en Afghanistan. Cette idée de prolonger la mission sous une nouvelle forme est dans l'air depuis des mois, et MM. Harper et Ignatieff tiennent, à peu de chose près, le même discours à ce propos.

Voici ce qu'a dit le chef libéral, la semaine dernière, devant le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM): «Notre armée devrait avoir pour mission de soutenir nos initiatives de développement et de diplomatie dans le monde, comme elle le fera en Afghanistan après 2011.»

Pourtant, libéraux et conservateurs ont de profonds différends sur certains événements entourant la mission canadienne et la responsabilité du gouvernement. Autre extrait du discours de M. Ignatieff devant le CORIM:

«Au cours des dernières années, le monde a vu avec incompréhension le gouvernement canadien fermer les yeux sur les rapports de torture en Afghanistan, puis tenter par la suite d'étouffer l'affaire. Ils ont même fermé le Parlement pour échapper aux questions.»

Cette fois, le gouvernement Harper veut apparemment éviter un nouveau vote sur l'avenir de la présence canadienne en Afghanistan à la Chambre des communes.

Que Michael Ignatieff accepte de laisser entre 600 et 1000 soldats canadiens à Kaboul à des fins humanitaires, cela ne surprend guère, mais pourquoi jouer le jeu du gouvernement et contourner les Communes?

«Je ne suis pas certain que ce soit nécessaire ici puisque ce serait une mission non combattante, m'a répondu hier le critique libéral en matière d'Affaires étrangères, Bob Rae. Nous avons déjà une vingtaine d'officiers qui font de la formation en Palestine, nous en avons aussi en Afrique (sans que cela ait été voté aux Communes).»

Est-ce une façon d'isoler le NPD, seul parti à réclamer le rappel complet des troupes? Dans quelques jours, les prochains sondages indiqueront sans aucun doute l'humeur des Canadiens quant à la possible prolongation de la mission jusqu'en 2014. Les libéraux pourront alors évaluer leurs options.

En évitant les Communes, le gouvernement évite un débat émotif, des questions embarrassantes, un rappel des 153 Canadiens morts là-bas et il isole le Bloc, qui n'est pas contre une présence canadienne en Afghanistan après février 2011.

De toute évidence, le Canada subit beaucoup de pression de la part des alliés de l'OTAN et en particulier des États-Unis, dont le président, Barack Obama, a fait de l'Afghanistan sa priorité. Difficile, dans les circonstances de «paqueter ses petits» et de quitter le pays en février 2011, comme prévu.

Pour le gouvernement Harper, qui met de l'avant la lutte contre le terrorisme et le renforcement du rôle de l'Armée canadienne, la prolongation de la mission en Afghanistan coule de source. Cela sert son discours. Si on dépense des milliards pour rééquiper les Forces armées, aussi bien les déployer.

Les libéraux exigent quelques éclaircissements, notamment sur l'importance de la diplomatie, mais ils ne semblent pas avoir d'objection fondamentale à une éventuelle prolongation.

«Nous sommes là à la demande de l'ONU, ajoute Bob Rae. Et il sera plus facile d'influencer le gouvernement afghan si nous sommes sur place.»

La communion entre conservateurs et libéraux détonne par rapport aux débats acrimonieux de cette session sur l'achat d'avions de chasse, notamment, sur le sort d'Omar Khadr ou sur le maintien du registre des armes d'épaule.

Cela dit, vote aux Communes ou non, quelques questions se posent avant de signer une prolongation de bail en Afghanistan.

Première question: à quoi bon s'éterniser dans cette partie du monde où la démocratie ne semble pas avoir avancé d'un iota?

Deuxième question: accepterons-nous de traiter, dans notre mission de soutien et de formation, avec un éventuel gouvernement de coalition qui comprendrait des talibans, ceux-là mêmes que nous combattons depuis huit ans?

Stephen Harper a déjà répondu à cette question, lors de son récent passage en Suisse pour le Sommet de la francophonie: «Nous appuyons fermement les tentatives de réconciliation. Nous avons toujours dit que cela fait partie de la solution. Il ne peut être question seulement d'action militaire, mais des conditions importantes s'appliquent: le respect de l'ordre constitutionnel et la reddition des armes.»

Le gouvernement canadien a toujours été en faveur d'un rapprochement du gouvernement afghan avec les talibans? En 2006, les conservateurs avaient surnommé le chef du NPD, Jack Layton, «Taliban Jack» parce qu'il avait avancé l'idée de négocier avec les insurgés afghans.

Troisième question: veut-on vraiment s'associer au soutien et à la formation d'un gouvernement notoirement corrompu, inefficace et inadéquat?

M. Harper a déjà répondu oui à cette question puisqu'il veut prolonger la présence canadienne en Afghanistan. Les libéraux sont d'accord.

Bob Rae: «La réalité de la région exige du développement. Est-ce que ce sera facile? Non. Est-ce que ce gouvernement a des problèmes, y a-t-il de la corruption? Oui. Mais un gouvernement, c'est mieux que le chaos.»

Done deal, comme on dit à Ottawa. Nous serons en Afghanistan pour au moins trois ans encore.