«All politics is local.» Traduction libre: en politique, les enjeux locaux priment toujours.

Cette célèbre citation de Tip O'Neill, un vieux routier de la politique américaine qui a siégé au Congrès durant 34 ans, dont 10 à titre de président de la Chambre des représentants, résume assez bien l'obsession de Stephen Harper pour certains enjeux et son dédain pour les affaires étrangères.

Depuis qu'il est au pouvoir, M. Harper a de toute évidence fait le pari qu'il avait plus de votes à gagner en parlant de la loi et de l'ordre, de la répression du crime et du contrôle des armes à feu qu'en jouant sur la scène internationale le rôle auquel on pourrait s'attendre de la part d'un pays du G8.

Les sondages lui donnent d'ailleurs raison la plupart du temps.

L'ONU, ses grands rassemblements et ses instances n'ont jamais été sa tasse de thé. «Le Conseil de sécurité et tous ces trucs de l'ONU, ça ne l'intéresse pas», dit une source proche du premier ministre.

Même s'il n'a jamais tenu envers l'ONU des propos aussi durs que ceux de Georges W. Bush, Stephen Harper n'a jamais caché, dans son entourage, son peu d'intérêt pour l'institution.

À Ottawa, par ailleurs, quiconque a quelques sources au ministère des Affaires étrangères sait à quel point les gens qui y travaillent sont déprimés depuis quelques années. Ce ministère, réputé fort intellectuellement et professionnellement, a toujours été trop «libéral» au goût des conservateurs.

Pourquoi alors Stephen Harper s'est-il lancé personnellement dans cette lutte pour l'obtention d'un poste temporaire au Conseil de sécurité? Tout le monde a noté la différence entre le Stephen Harper de 2009, qui a préféré quitter l'ONU pour inaugurer un Tim Hortons, et celui de 2010, qui a prononcé un grand discours devant des sièges vides à l'ONU pour vanter la candidature du Canada.

La défaite humiliante de mardi à l'ONU aurait fait moins mal aux conservateurs si leur chef (le premier ministre!) n'avait pas mis tout son poids dans la balance: on voit aujourd'hui que M. Harper ne pèse pas très lourd.

Comment pourrait-il en être autrement, de toute façon? Le mépris de notre gouvernement pour l'ONU et son désengagement sur la scène internationale ont depuis longtemps traversé les frontières du Canada.

Pour une fois, ce n'est pas seulement un vilain chroniqueur «gauchiste anti-conservateur d'une grande ville» qui le dit, c'est la communauté internationale.

Parlant de poids à l'international, il est plutôt risible d'entendre les conservateurs rejeter leur échec sur les épaules de Michael Ignatieff, comme si le chef de l'opposition avait plus de pouvoir à l'étranger que le gouvernement du Canada.

De passage à l'ONU, le 24 septembre dernier, Stephen Harper avait déclaré que le Canada voulait siéger au Conseil de sécurité pour faire rayonner les «idéaux» canadiens. Apparemment, les idéaux entretenus par le gouvernement Harper n'auront pas ébloui les membres de l'ONU.

Sur le site internet du Parti conservateur, on lit, dans la section Plan: «Renforcer la souveraineté du Canada et son statut sur la scène internationale (...). Guidé par nos valeurs fondamentales - la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit, le Canada assoit maintenant notre souveraineté dans l'Arctique, cherche à conclure de nouveaux accords de libre-échange internationaux et intensifie notre contribution à la sécurité mondiale, tout particulièrement dans le cadre de la mission dirigée par l'OTAN et sanctionnée par l'ONU en Afghanistan.»

Belles paroles. Piètres résultats. Il est plausible, comme l'ont noté tous les observateurs chevronnés de la scène internationale, que les gestes du gouvernement Harper aient pesé plus lourd que ses promesses dans la balance onusienne.

Comment, d'ailleurs, parler de droits de la personne et de primauté du droit tout en méprisant grossièrement les décisions de ses propres cours, dans le cas du jeune Omar Khadr, par exemple?

Mais nous revenons ici à ce bon vieux Tip O'Neill: «All politics is local.» Laisser Omar Khadr moisir à Guantánamo n'est certainement pas bien vu à l'ONU, mais ici, ça fouette l'électorat conservateur.

Reste à voir maintenant si la claque sur la gueule administrée au gouvernement Harper aura pour lui des conséquences fâcheuses auprès de l'électorat.

Ce n'est pas scientifique, bien sûr, mais les réactions sont très nombreuses et généralement négatives dans les médias et sur la blogosphère. Il y a fort à parier, en ce sens, que l'attitude puérile qu'ont adoptée les conservateurs en blâmant les libéraux pour cette humiliante rebuffade ne fera qu'attiser les réactions, même chez des gens normalement sympathiques au gouvernement Harper.

Pour une rare fois depuis longtemps, les partis de l'opposition ont à leur disposition un élément concret pour attaquer les conservateurs, et pas n'importe quoi: la première défaite du Canada au Conseil de sécurité de l'ONU.

Lorsqu'il est question de politique étrangère, l'opposition se lance le plus souvent dans des procès d'intention. Cette fois, elle a une preuve tangible de l'incurie des conservateurs.

Les prochains sondages nous diront si l'héritage de Lester B. Pearson, tant célébré au Canada, n'est que du folklore ou s'il fait encore partie intégrante de la fibre nationaliste canadienne.