Feu Jean Pelletier, qui était aussi discret qu'influent dans le gouvernement Chrétien, avait résumé ainsi, lors d'une conversation privée, cette fascination des tribunes parlementaires pour les grands scénarios dans les cercles du pouvoir : «Je lis les savantes analyses et je me dis que j'aimerais bien être intelligent au point d'être capable, en effet, d'imaginer de tels stratagèmes!»

Pince sans rire, M. Pelletier voulait simplement dire que les analystes de la scène politique mettent parfois beaucoup d'efforts pour remonter le fil d'une histoire née, tout bonnement, d'un concours de circonstances.

Le fait est que si les politiciens et leurs conseillers étaient si clairvoyants, l'industrie de la consultation et de la gestion de crise ne serait pas si florissante.

On a beaucoup parlé des motivations réelles de l'ancien ministre de la Justice au cours des derniers jours. Vengeance? Règlement de comptes? Vieille frustration? Sorties publiques savamment planifiées de longue date? Ou bien, au contraire, cette affaire serait-elle née, plus simplement, d'un enchaînement de circonstances?

Chose certaine, si M. Charest n'avait pas lui-même créé cette commission, il n'aurait pas, aujourd'hui, à répondre aux accusations de son ancien ministre. Et puis s'il n'avait pas joué au petit tough de la cour d'école en mettant Me Bellemare au défi de vider son sac, il n'en serait pas là. Lorsque deux orgueilleux se mettent à se traiter de menteur devant tout le monde, généralement, ça finit mal.

Du côté de Jean Charest, comme chez Marc Bellemare, on semble davantage improviser que suivre un grand plan élaboré avec sagacité et minutie.

Mais pourquoi Marc Bellemare a-t-il attendu aussi longtemps pour dénoncer une situation qu'il jugeait inacceptable il y a plus de six ans? Je ne suis pas dans la tête de Marc Bellemare, mais j'imagine qu'en tant qu'avocat, il doit vouer un grand respect à son serment d'office, qui interdit aux ministres de parler publiquement de ce qui se dit dans l'exercice de leurs fonctions.

Mais pourquoi alors avoir plié devant les pressions «colossales» d'un collecteur de fonds et avoir nommé les trois juges au centre de l'affaire? Après tout, s'il y a des fautifs dans cette histoire, il faut commencer par le ministre qui a, dans les faits, donné son accord au trafic d'influence qu'il dénonce aujourd'hui.

Marc Bellemare s'est défendu en disant, devant la Commission Bastarache, que n'étant pas politicien de carrière, il ne savait pas comment ce milieu fonctionne. Cette explication semble plausible.

Au cours des deux premiers jours de son témoignage, Marc Bellemare a étalé sur la place publique trois vérités pas bonnes à dire en politique. Première «révélation» : dans un parti, c'est l'argent qui mène. Par conséquent, deuxième révélation : ceux qui récoltent cet argent ont beaucoup de pouvoir, contrairement aux ministres, qui eux, troisième vérité, n'en n'ont pas vraiment. Surtout les vertes recrues qui accèdent rapidement à des postes trop élevés pour leur expérience.

Une anecdote parmi d'autres pour illustrer le phénomène : les aventures de Maxime «Jos Louis» Bernier en Afghanistan.

Loin de moi l'idée de vouloir minimiser le proverbial manque de jugement de notre ancien ministre des Affaires étrangères, mais le fait est que M. Bernier n'est pas le seul responsable du ridicule incident des p'tits gâteaux Vachon.

Au départ, une électrice de Beauce, mère d'un soldat en service en Afghanistan, demande à son député (Maxime Bernier) d'apporter une boîte des fameux petits gâteaux (fierté locale) à son fils. Grand coeur, M. Bernier décide d'acheter quelques boîtes pour les distribuer. C'est alors qu'un petit génie des communications du bureau du premier ministre, trouvant l'idée excellente, décide de faire charger dans le gros Airbus des Forces armées une «palette» de Jos Louis devant être distribués par le chef de la diplomatie canadienne!

Quelques semaines après l'incident, Maxime Bernier m'avait avoué qu'il aurait dû refuser de se plier à cette mise en scène grotesque.

Évidemment, les nominations de juges, c'est plus grave que la distribution de Jos Louis, mais le principe de base est le même : les ministres, trop souvent, font ce que le «centre» décide et ils savent fort bien qu'ils risquent de perdre leur limousine s'ils se rebiffent. Thomas Mulcair, rare exemple contraire, a refusé de jouer la partition imposée par le bureau du premier ministre Charest. On connaît la suite.

Ça reprend aujourd'hui

La Commission Bastarache, de laquelle on attendait bien peu, est devenue, en moins de douze heures de travaux publics, l'événement de la rentrée. On sait qu'une quarantaine de témoins y défileront, étirant donc ses audiences sur une bonne partie de l'automne.

Ce gouvernement, qui n'était déjà pas reconnu pour son activité débordante, risque d'être paralysé encore un peu plus parce qu'il sera sur la défensive et qu'il vivra dans l'angoisse de nouvelles révélations.

En soi, Marc Bellemare n'a pas dit grand-chose à ce jour. Il ne peut démontrer que l'argent a bel et bien acheté des nominations dans la magistrature et il avoue, par ailleurs, que le système fonctionne très bien.

La «bombe», c'est plutôt l'affirmation selon laquelle le premier ministre lui a dit de se la fermer. Et comme le chantait Boris Vian, c'est pas la force de la bombe qui compte, «c'est l'endroit où c'qu'elle tombe».

Me Bellemare aura aussi réussi, malgré le mandat extrêmement limité de la Commission Bastarache, à ouvrir une brèche latérale en parlant de cette intervention d'un conseiller du premier ministre dans un procès criminel.

Le plus cocasse, c'est cet ex-conseiller, Denis Roy, qui s'est précipité devant les médias pour donner les détails de cette affaire, jetant ainsi de l'huile sur le feu.

Le clan Charest devrait écouter la suggestion du juge Bastarache et laisser la Commission travailler sans intervenir à tout moment.