J'espère que vous n'avez pas retenu votre souffle, dans les derniers jours, en attendant le remaniement ministériel de Jean Charest, parce que vous vous êtes privé d'oxygène pour pas grand-chose.

De mémoire, c'est probablement le remaniement le plus pépère de l'histoire politique récente. Jean Charest a préféré parler de «redéploiement», un mot effectivement plus approprié dans les circonstances.

Les attentes étaient pourtant grandes: ce remaniement était attendu depuis la fin juin. On aurait pu croire que toutes les controverses qui accablent le gouvernement (et leur effet sur les intentions de vote) forceraient le premier ministre à faire preuve d'un peu plus d'audace et d'imagination.

Eh non! Jean Charest a préféré garder les ministres avec lesquels il travaille depuis des années.

Ou bien il n'a pas trouvé parmi ses députés de recrues inspirantes en qui il a suffisamment confiance pour les nommer au cabinet, ou alors il n'a pas voulu provoquer des démissions embarrassantes en rétrogradant des ministres au poste de simple député. Ou les deux.

Le résultat est tout de même étonnant. Voici un gouvernement empêtré depuis des mois dans des controverses paralysantes, qui tente de se relancer... avec les mêmes ministres.

Un peu comme une équipe de hockey en difficulté qui se contente, à la date limite des transactions, de remanier ses trios.

C'est ce que Jean Charest a fait hier: il a remanié des trios. Et encore, pas tous ses trios puisque la plupart des joueurs-clés ne bougent pas. Il a aussi rappelé un ancien gardien de but en renfort, Jean-Marc Fournier, qui devra, comme prochain leader parlementaire, arrêter les tirs de l'opposition. (De ce côté-là de l'Assemblée nationale, pas de changement dans le plan de match non plus: le député péquiste Bernard Drainville a clairement indiqué que son parti continuera de réclamer une enquête publique sur les activités de la construction.)

Ce remaniement aurait pu être le signal d'un certain renouveau de ce gouvernement usé (on aurait notamment pu offrir la circonscription de Saint-Laurent à un nouveau visage). Cela aurait pu être l'occasion d'amener un peu de fraîcheur, mais l'opération met plutôt en évidence deux faiblesses majeures des libéraux: la relève et la fragilité électorale.

Remanier un cabinet complet sans y faire entrer un seul nouveau visage démontre sans contredit un manque criant de relève. Et de confiance envers les simples députés.

Dans les dernières années, les libéraux avaient attiré de nouveaux candidats intéressants pour les générales et les partielles (Yolande James, Christine St-Pierre, Clément Gignac, Yves Bolduc, entre autres). Cette fois, le premier ministre s'est replié sur un vieux compagnon d'armes, Jean-Marc Fournier.

M. Charest revient par ailleurs à la parité hommes-femmes dans son Conseil des ministres, dont il réduit d'ailleurs la taille à 24 membres, deux facteurs qui l'avaient bien servi lorsqu'il était minoritaire.

On dira évidemment que Jean Charest n'avait pas le choix, qu'il ne pouvait courir le risque de provoquer des démissions dans ses rangs en forçant le jeu. Vrai, mais compte tenu des attentes, ce remaniement donnera une impression de réchauffé à la population. Cet exercice extrêmement prudent, plutôt que de relancer les libéraux, ne fait que confirmer leur fragilité.

Que le Parti libéral craigne de perdre, par exemple, la circonscription de Jean-Talon (remportée en 2008 par Yves Bolduc par près de 5000 voix) démontre bien la mollesse de ses appuis dans l'électorat.

Même chose dans Saint-François. Les libéraux admettent eux-mêmes que le PQ prendra vraisemblablement cette circonscription le jour où Monique Gagnon-Tremblay l'abandonnera (Réjean Hébert, médecin bien connu dans la région de Sherbrooke, n'a perdu que par 1346 voix en 2008).

Yves Bolduc a nié hier avoir menacé son chef de quitter le navire si on lui retirait le ministère de la Santé, et le premier ministre s'est senti obligé de lui réitérer «tout son appui». Cela dit, tout le monde sait à Québec que M. Charest n'était pas satisfait de son ministre.

En outre, le bureau du premier ministre a répété à qui voulait l'entendre avant le remaniement que le ministre Bolduc est un bon gestionnaire mais un piètre communicateur. Ce n'est pas exactement ce que l'on peut appeler une marque de confiance.

Le brassage de cartes risque par ailleurs de froisser les anglophones, des électeurs traditionnellement acquis aux libéraux, qui n'apprécient toutefois pas d'être considérés comme tel.

Non seulement aucun député anglophone ne réintègre le cabinet, mais de plus, Kathleen Weil est rétrogradée de la Justice à l'Immigration.

Les médias anglophones ont aussi noté, avec un certain déplaisir, que la nouvelle ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, a préféré répondre en français à une question en anglais, précisant que les «mots sont importants». Mme Beauchamp est mal partie avec les anglophones.