Cette année, pour présenter son budget, Raymond Bachand a préféré s'acheter des lunettes plutôt qu'une nouvelle paire de souliers. Après lecture de son premier budget, on ne pourra pas l'accuser d'avoir choisi le rose pour ses lunettes.

Le ministre des Finances devra maintenant prêter ses lunettes au premier ministre, qui semble, enfin, avoir décidé de foncer, lui qui somnolait avec les deux mains sur le volant depuis sa réélection de décembre 2008. Passer de l'inaction à une telle hyperactivité en un seul budget, c'est à croire que ce gouvernement n'en pouvait plus de se retenir.

Le diagnostic est sans doute réaliste, mais le remède risque d'être dur à avaler pour la classe moyenne, grande perdante de cette nouvelle lutte au déficit.

À terme, en 2013, l'ensemble des mesures annoncées pourraient représenter, au bas mot, 1000 à 1200 $ par année, soit 100 $ par mois. Ce n'est pas grand-chose pour les mieux nantis, mais quand on gagne 30 000 ou 40 000 $ par année, 1200 $, c'est souvent la petite réserve pour les vacances ou pour les cadeaux de Noël. Ou le peu que l'on peut placer dans son REER.

Le gouvernement Charest va devoir se montrer persuasif, lui qui est en état de déconnection avancée avec la population du Québec, en particulier depuis sa réélection. Pour accepter un plan pareil, la population doit avoir confiance en son gouvernement, il doit être prêt à le suivre, ce qui n'est pas nécessairement le cas en ce moment.

Les chambres de commerce applaudissent, mais dans les chaumières, sur les lignes ouvertes, dans les blogues, on constate déjà une grogne certaine.

Dans les prochaines années, et même dans les prochains mois, la TVQ augmentera les droits de scolarité aussi, une taxe dédiée à la santé entrera en vigueur, une autre sur l'essence et, d'ici quelques années, les Québécois payeront plus cher pour l'hydro-électricité et peut-être aussi pour avoir accès aux soins de santé.

De gros morceaux plutôt indigestes à avaler en même temps pour des contribuables.

Cela dit, le ministre Bachand a eu le courage hier d'appeler un chat un chat. Ou dans ce cas précis,une contribution une contribution et un effort un effort.

«Les initiatives que nous annonçons aujourd'hui auront peu d'effet sur le revenu disponible des Québécois en 2010. Elles entreront en vigueur de façon graduelle afin que les citoyens puissent s'y préparer», lit-on dans un communiqué émis par son cabinet.

Un gouvernement qui demande aux électeurs de se préparer à souffrir, voilà qui fait changement des discours ronflant et de la pensée magique trop courants sur les collines parlementaires.

Sans surprise, Pauline Marois a rejeté d'un bloc ce budget. Selon Mme Marois, ce budget est la preuve que M. Charest n'a rien vu venir lors de la dernière campagne électorale.

Soit, mais c'est comme si votre médecin vous annonçait que vous souffrez d'une grave maladie qui nécessitera un traitement long et désagréable traitement, vous pouvez bien lui reprocher de ne pas avoir décelé cette maladie lors de votre dernier examen, il y a 15 mois, cela ne changera rien à votre état.

Évidemment, personne ne se réjouira des nouveaux tarifs aujourd'hui, mais la pâte à dent est enfin sortie du tube, comme on dit souvent en politique. En ce sens, le budget de Raymond Bachand sonne le réveil.

Quelques minutes avant de défendre son budget devant les médias, il avouait d'ailleurs être nerveux. Le ministre sait fort bien que les hausses de tarifs d'Hydro-Québec, la taxe-santé et l'augmentation des droits de scolarité ne passeront pas comme une lettre à la poste.

Politiquement, le pari est risqué pour les libéraux puisqu'il annonce des nouvelles déplaisantes d'ici aux prochaines élections.

«À un moment donné, on ne peut plus prendre des décisions juste pour être populaire. Il est temps de faire des choix difficiles et de prendre des décisions nécessaires», résume M. Bachand.

Les libéraux n'ont plus le choix : le plan de restriction présenté hier par M. Bachand doit fonctionner. Autrement, les Québécois auront la très désagréable impression d'avoir été les seuls à casquer, sans même retrouver l'équilibre budgétaire.

À court terme, ce budget permettra (du moins, pourrait permettre) au gouvernement Charest de reprendre l'initiative et lui donnera un certain un répit sur les autres «affaires» qui le hantent depuis des mois.

Ces «affaires» ne disparaîtront pas, par contre. Et cela cause certainement un problème de taille à Jean Charest, qui ne pourra convaincre les Québécois de le suivre dans le climat de suspicion actuel.