On l'a beaucoup répété ces deniers jours, le nouveau malheur qui s'abat sur Haïti est aussi l'occasion de rebâtir ce pays sur de nouvelles bases. Et tant qu'à repartir à zéro, aussi bien se dire les vraies affaires.

Voilà du moins le pari du premier ministre d'Haïti, Jean-Max Bellerive, qui a froidement dépeint hier l'état de son pays, ses besoins et des défis, en plus de reconnaître l'impuissance de son gouvernement et ses nombreux ratés.

 

Aucune grande décision n'a été prise hier dans cette première conférence des amis d'Haïti (lire: aucun chiffre n'a été fixé), mais le ton du principal intéressé s'éloignait de l'habituel blabla insipide et politiquement correct qui anesthésie trop souvent ce genre de rencontre. C'est comme si le chaos qui a frappé Haïti avait fait s'écrouler aussi les discours ronflants et les demi-vérités.

Rien que pour ça, la conférence de Montréal valait la peine. Autant le portrait brossé par Jean-Max Bellerive était dur, autant sa franchise était rafraîchissante.

Tout le monde a vu les dégâts épouvantables causés par le tremblement de terre en Haïti. M. Bellerive a plutôt insisté sur une autre réalité révélée par ce séisme: malgré des décennies d'aide internationale, Haïti était déjà dans une situation intenable avant cette nouvelle calamité, et son gouvernement n'est pas en mesure de répondre à l'urgence.

En ce sens, le premier ministre Bellerive a fait un aveu terrible en reconnaissant que les géologues haïtiens avaient bel et bien prévenu le gouvernement des risques imminents d'un tremblement de terre. Malheureusement, a ajouté M. Bellerive, «le règlement de conflits sociaux, la lutte contre la pauvreté ne nous ont pas laissé le temps de prendre les mesures pour limiter les dégâts de la catastrophe».

Aux États-Unis, après Katrina, il a fallu des mois d'enquête par une grande commission et un rapport accablant pour démontrer que les autorités savaient que les digues de La Nouvelle-Orléans risquaient de céder.

Pour M. Bellerive, apparemment, le temps n'est plus aux faux-fuyants. Il aura notamment eu le courage de souligner qu'Haïti, même avant le séisme du 12 janvier, n'a pas accompli les progrès souhaités malgré les milliards de l'aide internationale. «Le sacrifice involontaire de centaines de milliers d'Haïtiens» doit au moins servir «à comprendre ce qui n'a pas marché», a ajouté candidement le premier ministre haïtien.

Il a aussi rappelé froidement qu'il faudra au moins quatre ou cinq ans de travail seulement pour revenir là où Haïti en était avant le séisme, une situation qui était pourtant inacceptable.

En filigrane de cette conférence, un malaise, palpable dans les déclarations des leaders et des ONG: comment s'assurer que l'aide, cette fois, arrive à bon port et soit utilisée efficacement?

Stephen Harper - c'est probablement là le principal résultat de cette conférence pour le Canada - a parlé d'un engagement d'au moins 10 ans. Il a toutefois insisté sur la transparence, un mot qui était sur toutes les lèvres dans cette conférence. «Nous devons viser l'efficacité, a dit M. Harper. Le peuple haïtien le mérite, et nos contribuables s'attendent à cela. Nous devons être redevables l'un envers l'autre (Haïti et le Canada) pour les engagements que nous prenons.»

Publiquement, M. Bellerive a tenu à dire que son gouvernement est en mesure de diriger les opérations de reconstruction, et les «amis d'Haïti» ont promis de respecter sa souveraineté. Tout le monde (Stephen Harper, Hillary Clinton, Bernard Kouchner) s'accordait à dire que le gouvernement d'Haïti doit rester maître dans son pays, mais personne ne semble prêt, cette fois, à signer un chèque en blanc. Surtout lorsqu'on parle de milliards de dollars en 10 ans.

Pour rassurer ses compatriotes, Stephen Harper devra assortir l'aide canadienne d'un mécanisme de suivi du programme d'aide. Les Canadiens ont été visiblement bouleversés par le drame haïtien, mais, une fois que les images de la catastrophe disparaîtront peu à peu de leur téléviseur, accepteront-ils de pomper des centaines de millions pendant des années sans avoir l'assurance que cet effort, cette fois, donne des résultats tangibles?

Le premier ministre Bellerive a reconnu froidement que les milliards de l'aide internationale n'ont pas donné de résultats probants en Haïti. Ce constat d'échec ne vaut pas que pour Haïti. En fait, il est encore plus accablant pour les pays donateurs.

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