Il y a de ces scènes, dans le merveilleux monde politique, qui en disent long sur l'hypocrisie, le cynisme et la mesquinerie partisane qui rebutent tant d'électeurs. Quand cela ne tourne pas tout simplement au surréalisme...

Hier, par exemple, à la Chambre des communes, le premier ministre Harper s'est levé pour répondre le plus sérieusement du monde à Michael Ignatieff que la révélation-choc du chef d'état-major sur la torture d'un prisonnier afghan ne fait que confirmer ce que son gouvernement a toujours dit. Il faut le faire!

 

Derrière le premier ministre, quelques ministres hochaient la tête en souriant de ravissement devant l'assurance de leur chef et se sont levés d'un bond pour l'applaudir. En particulier la ministre des Ressources naturelles, Lisa Raitt, qui semblait trouver les explications bancales de son chef aussi sexy que le dossier de la pénurie d'isotopes médicaux.

Ou cet autre député conservateur, qui s'est levé pour poser une question «plantée» après la première ronde des partis de l'opposition (qui ont consacré presque toutes leurs questions à la torture en Afghanistan) et qui a commencé ainsi: «Le gouvernement conservateur s'occupe de ce qui préoccupe VRAIMENT les Canadiens: la création d'emplois...» au grand plaisir de ses collègues.

Pour une institution qui gratifie généreusement ses membres du titre d'honorable, disons que certains agissent de façon plutôt déshonorante.

À commencer par le «très honorable», le premier ministre lui-même, qui a détourné complètement l'aveu tardif du général Walter Natynczyk pour lui faire dire qu'il «confirme ce que le gouvernement a toujours dit».

De deux choses l'une: ou bien Stephen Harper sait qu'il est coincé, ou alors il prend les Canadiens pour de parfaits imbéciles. Le gouvernement conservateur répète depuis des semaines qu'il n'existe aucune preuve selon laquelle des prisonniers sous protection des militaires canadiens en Afghanistan ont été torturés. Les déclarations du diplomate Richard Colvin, anciennement en poste en Afghanistan, sont sans fondement, affirment les conservateurs. Voilà que Walter Natynczyk vient dire le contraire. Embêtant.

Pour se dépatouiller, M. Harper esquive grossièrement la question et accuse, encore une fois, les partis de l'opposition de discréditer les «braves hommes et femmes qui servent le Canada en Afghanistan».

«Les militaires canadiens ont été irréprochables et l'opposition accuse nos soldats de faire des crimes de guerre», a même lancé le premier ministre, visiblement à court de munitions.

Ce n'est pas des militaires qu'il est question ici, mais bien de ce que le gouvernement savait. Et de ce qu'il compte faire maintenant qu'il ne peut plus dire qu'il ne sait pas. M. Harper accuse l'opposition de se faire complice des talibans en posant des questions sur des cas présumés de torture. Ne devient-il pas lui-même complice des tortionnaires en camouflant ou en niant les preuves de ces incidents?

Il est tout de même troublant de constater que cette information cruciale, apparemment passée inaperçue à la Défense et au cabinet du ministre Peter MacKay, ne sort que maintenant, au moment où le Parlement ajourne ses travaux.

Que le chef d'état-major ordonne une enquête dans son service, soit. Mais dans notre système politique, ce sont les ministres qui sont ultimement responsables des fiascos de leur machine.

Le ministre MacKay ne peut pas seulement se cacher derrière un ou des militaires qui auraient «omis» de transmettre cette information au chef d'état-major.

Pas plus qu'il ne peut, avec le premier ministre, continuer de rejeter le blâme sur le gouvernement libéral précédent. Cela fera quatre ans dans un mois que les conservateurs sont au pouvoir. Ils ne peuvent éternellement renvoyer la balle à l'ancien régime.

Toute cette affaire, en plus d'empoisonner les débats politiques à Ottawa, risque de nuire à l'image du Canada à l'étranger et dans les grands forums internationaux.

Mais il y a pire. L'attitude et les gestes du gouvernement Harper causent assurément un tort profond au ministère des Affaires étrangères, à la machine diplomatique canadienne, reconnue et respectée dans le monde de même que par les Canadiens eux-mêmes.

Avec raison. Cet appareil diplomatique est composé de gens dévoués, qualifiés, polyglottes et fortement scolarisés, qui pourraient, dans bien des cas, monnayer avantageusement leur expertise dans le secteur privé mais qui croient à l'importance du rôle de leur pays dans le monde.

Lorsque 26 anciens diplomates, qui ont mené leur carrière selon la règle sacrée de ne pas faire de vagues et de ne jamais embarrasser leur gouvernement, écrivent une lettre ouverte pour dénoncer le gouvernement de leur pays, c'est qu'il y a vraiment quelque chose qui cloche.

Le ministère des Affaires étrangères est réputé difficile pour son titulaire, justement en raison des compétences des gens qui y travaillent.

Peut-être est-il trop «libéral», trop «pearsonien» au goût de M. Harper? Ce qui expliquerait que le gouvernement n'a pas hésité une seconde à torpiller un de ses diplomates sur la place publique.

Il est vrai que les précédents gouvernements libéraux avaient clairement privilégié les Affaires étrangères aux Forces armées. Pour M. Harper, c'est le contraire.