La défense du français au Canada serait-elle devenue une discipline olympique?

À voir les efforts surhumains que doivent déployer les francophones de la région de Vancouver pour s'assurer que la seconde langue officielle du pays soit un peu respectée, ils méritent certainement une médaille.

Lundi, la ville de Richmond (banlieue sud de Vancouver) a finalement décidé d'ajouter du français aux énormes panneaux unilingues anglophones du magnifique immeuble tout neuf qui abrite l'anneau de glace où auront lieu les compétitions de patinage de vitesse longue piste. Aussi absurde que cela puisse paraître, personne n'avait apparemment pensé à inscrire «Anneau de glace - Jeux olympiques d'hiver 2010» sur les immenses plaques installées de chaque côté de cette merveille architecturale. Dans un pays officiellement bilingue et pour un événement (les Jeux olympiques) dont la langue officielle est le français.

 

L'«erreur» est passée sous le nez du comité organisateur des Jeux (le COVAN), du gouvernement fédéral, des villes de Vancouver et de Richmond. Et ce n'est qu'un des très nombreux exemples de la course à obstacles à laquelle doivent se livrer ici quotidiennement les francophones.

«Personne n'y a pensé, c'est toujours la même réponse que l'on nous sert, il faut toujours que l'on surveille et que l'on insiste pour que le français soit présent», explique Marianne Goodwin, responsable du dossier du français aux Jeux olympiques au sein de la Fédération des francophones de Colombie-Britannique.

La situation sera donc corrigée à l'anneau de glace, mais n'allez surtout pas croire que le conseil municipal de Richmond s'est plié aux demandes des francos de son plein gré ni, surtout, à ses frais.

C'est le gouvernement fédéral, soucieux de calmer le jeu, qui casquera et qui a insisté auprès de Richmond pour ajouter quelques mots en français devant ce fleuron des JO de Vancouver.

On peut reprocher, bien sûr, au gouvernement fédéral de réagir plutôt que d'avoir exigé au départ le respect de la loi sur les langues officielles, mais il faut reconnaître au ministre de Patrimoine, James Moore, le mérite qui lui revient: il s'efforce d'éteindre les feux à moins de trois mois de l'ouverture de Jeux. À Vancouver, on lui a même reproché d'avoir dégagé 7 millions pour la traduction et l'affichage en français sur les lieux de compétition des Jeux et dans les événements culturels connexes.

Pas étonnant que le fédéral se montre si sensible: les JO de Vancouver, au-delà des exploits sportifs, de la logistique et de la sécurité, seront aussi un test crucial pour le bilinguisme au Canada. Ce ne sont pas que les francophones de Vancouver qui le disent, c'est aussi l'avis de Graham Fraser, le commissaire aux langues officielles du Canada.

Pour le moment, à 80 jours du début des JO, il n'y a pas de quoi donner une médaille aux organisateurs de l'événement ou à la ville de Vancouver.

Un autre exemple édifiant: en février dernier, le COVAN a organisé un grand spectacle populaire pour lancer officiellement le décompte un an avant le début des Jeux (qui auront lieu du 12 au 28 février prochains).

Les francophones ont alors constaté, incrédules, qu'aucun artiste de langue française ne faisait partie de la soirée, sauf un chorégraphe montréalais. Les responsables de la fête ont alors demandé en catastrophe à un chanteur au nom francophone de traduire quelques-unes de ses chansons en français. Le gars est finalement monté sur scène ce soir-là en expliquant en anglais qu'à la demande du COVAN il allait chanter quelques tounes en français traduites en vitesse par son père!

L'absence du français, ici, est généralisée. Au centre d'information touristique de Vancouver, on trouve des dépliants bilingues: chinois et mandarin. Pour le français, tough luck.

Dans le tout nouveau Sky Train, le métro en surface de Vancouver, pas d'explications en français non plus. Il aurait pourtant été facile de programmer les machines distributrices en plusieurs langues, comme on le fait partout au pays pour les guichets automatiques.

À l'aéroport international de Vancouver, pas d'appel en français, même pas pour les vols vers Montréal. Même pas un enregistrement. L'inverse, à Montréal, serait-il toléré? Poser la question, c'est y répondre.

À Vancouver, les défenseurs du français ne sont pas au bout de leurs peines. L'indifférence des autorités locales n'est pas nécessairement leur plus grand défi. La mauvaise foi y est aussi pour beaucoup.

La défense du français au Canada n'est pas une nouveauté, cela fait près de 40 ans qu'on en parle. L'affaire est tellement politique que l'argument «Oups, on n'y a pas pensé» ne tient pas la route.

Le fait est qu'ici, le vieux rêve de Pierre Elliott Trudeau frappe un mur. Deux murs, en fait: la politique et la démographie. La loi sur les langues officielles atteint ici sa limite.

Essayer de transformer Vancouver en une ville bilingue pendant quelques semaines défie toute logique politique et démographique. Quant à Richmond, cette ville est plus chinoise qu'anglaise.

En coulisse, les dirigeants de ces villes et des organismes de la région admettent que s'ils commencent à afficher en français, ils subiront d'irrésistibles pressions des communautés culturelles pour faire de même dans d'autres langues beaucoup plus utilisées dans le Grand Vancouver.

La plupart des francophones, eux, restent ici trop peu longtemps (deux ans, en moyenne) pour mener la bataille. Ils concluent rapidement que c'est peine perdue de toute façon. Comme les francophones d'Ottawa s'offusquent, dans les premiers mois suivant leur arrivée dans la capitale fédérale, pour ensuite se résigner.

Question, pour terminer: si Québec avait obtenu (ou obtenait à l'avenir) les JO, mes collègues anglophones écriraient-ils des chroniques pour dénoncer l'absence de leur langue?

Encore là, poser la question, c'est y répondre.