Décidément, on ne fait pas de la politique de la même manière que l'on soit à Montréal ou à Québec par les temps qui courent.

À Montréal, le chef de la police, Yvan Delorme, s'est fait reprocher cette semaine, à juste titre, d'avoir dérogé à la nécessaire neutralité de son poste en vantant dans un courriel à ses subordonnés un engagement électoral du maire sortant, Gérald Tremblay.

Le même jour, à Québec, le ministre québécois responsable de la région, Sam Hamad, s'est empressé de saluer l'ambition du maire sortant, Régis Labeaume, qui s'apprête à demander des centaines de millions aux gouvernements provincial et fédéral pour la construction d'un nouvel amphithéâtre de hockey et personne ne semble s'offusquer de cet empiètement grossier dans la campagne électorale.

C'est vrai que la puck roule pour le maire Labeaume ces temps-ci, qu'il est assuré d'être réélu et que tout le monde à Québec souhaite le retour des Nordiques, mais juste par souci de décence, le gouvernement Charest pourrait au moins attendre le lendemain des élections municipales avant de lui promettre des millions.

«Il faut avoir de l'ambition dans la vie», a répondu le ministre Hamad lorsqu'on lui a demandé si le maire Labeaume n'était pas un peu trop gourmand, lui qui vient d'ajouter 100 millions à son projet et qui réclame plus de 100 millions à Québec et à Ottawa.

Facile d'avoir de l'ambition avec l'argent des autres. Surtout si les gouvernements se montrent à ce point empressés de marquer de précieux points politiques dans la région, avec l'argent des autres.

M. Hamad aurait pu se garder une petite gêne, d'autant qu'il sera difficile de dire non aux ambitions débordantes du maire Labeaume après un tel appui. Cela vaut aussi pour Josée Verner, ministre de Stephen Harper responsable de la région, qui, manifestement, démontre plus d'enthousiasme pour le hockey qu'elle n'en démontrait à pareille date l'an dernier pour la culture.

L'autre différence majeure entre Montréal et Québec, c'est la façon de négocier avec Québec et Ottawa pour le financement des grands projets.

À Montréal, on tergiverse pendant des années, on cherche en vain l'insaisissable consensus puis, on espère des sous des gouvernements supérieurs.

À Québec, Régis Labeaume, c'est le consensus, et une fois qu'il a sa ville derrière lui, il exige le fric.

Montréal quête. Régis Labeaume fait des hold-up.

Tant mieux pour Québec. Et tant pis pour Montréal, qui est en train de faire une campagne électorale sur le temps de ramassage de la neige ou sur la pertinence de poser ou non sa candidature pour une exposition universelle dans 10 ans.

La morale de cette histoire : pour qu'une ville, créature inférieure du gouvernement du Québec, jouisse d'un certain pouvoir, ça prend un maire fort, et un maire fort, ça vient par des idées fortes et du leadership.

Vous pouvez trouver Régis Labeaume un brin rustique et plutôt caricatural, mais il suffit de parler aux gens de Québec (ce que j'ai le plaisir de faire deux fois par semaine sur les ondes de Québec-800) pour s'apercevoir qu'ils sont massivement derrière le projet de leur maire.

Cela dit, avant de se faire entraîner inexorablement sur le terrain glissant du financement d'une équipe de hockey professionnelle, les gouvernements devront faire leurs devoirs.

Évidemment, l'affaire représente, électoralement parlant, des avantages indéniables pour Jean Charest et Stephen Harper.

Le premier pourrait consolider sa position dans la région en faisant de l'ombrage aux péquistes et aux adéquistes. Un tel projet prend du temps à se réaliser. Pour les libéraux, un placement maintenant rapportera encore politiquement aux prochaines élections, en 2012-2013.

Quant aux conservateurs, voilà l'occasion rêvée de sauver leurs rares sièges québécois, presque tous concentrés dans la région de Québec.

La manoeuvre est toutefois plus délicate pour M. Harper que pour M. Charest. Après Québec, il faudra aussi aider Hamilton. Winnipeg aussi, pourquoi pas ? Et puis, Calgary et Edmonton pourraient avoir besoin avant longtemps d'un nouvel amphithéâtre.

M. Harper a beau être un fervent amateur de hockey, son gouvernement est néanmoins en train de creuser un immense trou dans les finances publiques du Canada et pour des milliers de Canadiens, la priorité ne sera certainement pas de financer les millionnaires de la LNH.

Cela est vrai aussi pour le gouvernement Charest, qui s'apprête à demander des sacrifices importants aux Québécois au nom de la lutte au déficit. Il y a une douzaine d'années, Lucien Bouchard, aux prises lui aussi avec un déficit, avait réglé le sort des Expos en une célèbre phrase assassine : «On ne finance pas un stade de baseball quand on ferme des hôpitaux.» En 1995, la Ville de Québec avait reçu la même réponse du gouvernement péquiste (de Jacques Parizeau) lorsqu'elle avait demandé de l'aide pour construire un nouvel amphithéâtre pour les Nordiques.

La situation financière du Québec est-elle plus florissante aujourd'hui ? Les priorités du gouvernement ont-elles changé ?

Le retour des Nordiques est certes emballant pour les amateurs. Les Canadiens étaient meilleurs quand ils avaient quelqu'un à haïr (difficile d'haïr une équipe de Floride, de Californie ou de Nashville...).

Mais 100, 150, peut-être même 170 millions de fonds publics, c'est beaucoup d'argent pour relancer une aventure qui a déjà bien mal fini, il y a quelques années à peine.

Régis Labeaume a, de toute évidence, convaincu ses concitoyens de Québec. Jean Charest devra faire de même dans le reste de la province.