Si l'on considère l'accrochage Coderre-Cauchon sous un angle purement pugilistique, on peut affirmer que le lieutenant de Michael Ignatieff a eu le dessus sur son ancien collègue en lui barrant la route vers un retour à Outremont.

La politique, par contre, n'est pas qu'une affaire de coups de poing sur la gueule; c'est aussi une partie d'échecs qui demande finesse et stratégie.

 

En ce sens, Denis Coderre a peut-être gagné dans le ring, mais le Parti libéral s'est affaibli sur l'échiquier.

Le PLC a perdu une bonne occasion de ramener dans son équipe le candidat qui avait les meilleures chances de reprendre Outremont, perdue aux mains des néo-démocrates en 2007.

Perdue, aussi, l'occasion de projeter une image harmonieuse et ouverte. C'est même tout le contraire: on ne parle que de chicanes de famille chez les libéraux depuis quelques jours. Pourtant, Denis Coderre avait lui-même pris l'engagement de tenir des assemblées d'investiture dans toutes les circonscriptions du Québec, y compris celles occupées par un député libéral.

Perdue, enfin, l'occasion de tendre la main aux fidèles de Jean Chrétien, encore très nombreux dans les rangs libéraux. Disparus, les efforts de réconciliation des derniers mois et l'appel aux libéraux de M. Ignatieff.

Jean Chrétien, plus actif dans les coulisses que sa grande réserve publique le laisse croire, est intervenu en faveur de Martin Cauchon (qui a toujours été un de ses protégés). Il a fait savoir à Denis Coderre qu'il commettait une erreur en s'opposant à son retour.

En outre, parlant d'occasion ratée: Michael Ignatieff aurait dû intervenir avant que cette histoire n'éclate sur la place publique.

Les libéraux ont repris du poil de la bête au Québec depuis l'arrivée de Michael Ignatieff à leur tête, mais le recrutement reste difficile et les histoires de règlements de comptes entre vieux rivaux n'amélioreront pas les choses.

Les libéraux rencontrés ces derniers jours, pas tous des fans de Martin Cauchon ni de loyaux militants de Jean Chrétien, sont unanimes sur un point: Martin Cauchon est le mieux placé au PLC pour battre Thomas Mulcair dans Outremont. Mais Denis Coderre «ne veut pas d'un autre coq dans le poulailler», résume un ancien collègue des deux hommes.

Quant à Nathalie Le Prohon, candidate «vedette» pressentie par le PLC dans Outremont, personne dans les rangs libéraux ne semble la connaître. «Sans rien enlever à cette dame, que je ne connais pas, je ne vois pas comment une inconnue qui n'a jamais fait de politique aurait plus de chances de reprendre Outremont que le gars de la place qui a régné sur la circonscription pendant 10 ans», ajoute une autre source libérale.

Selon certains, les anciens liens d'amitié entre Martin Cauchon et le publicitaire déchu Jean Lafleur auraient refroidi les collaborateurs de Michael Ignatieff. Pourtant, copains pour copains, Denis Coderre a lui aussi entretenu des relations d'amitié avec trois acteurs des commandites: Luc Lemay, Claude Boulay et sa femme, Diane Deslauriers. Les souvenirs de cette affaire restent, mais, à l'évidence, les anciennes accointances de M. Coderre ne semblent pas avoir limité ses mouvements et ses pouvoirs au sein du PLC.

Il faut rappeler que Martin Cauchon, supporter de Bob Rae lors de la course à la direction de 2006, avait attendu à la toute dernière minute pour se rallier à Michael Ignatieff, ce qui ne l'a certainement pas aidé dans sa tentative de retour.

Si Martin Cauchon n'était qu'un cas isolé, l'exception dans une opération recrutement spectaculaire, l'affaire ferait peu de bruit. Mais dans les rangs libéraux, la grogne envers le lieutenant de Michael Ignatieff est de plus en plus palpable.

Le cas de Steven MacKinnon, candidat libéral dans Gatineau, fait aussi beaucoup jaser chez les rouges. M. MacKinnon, ancien directeur des communications du PLC, a réussi à remporter l'investiture dans cette circonscription malgré les entraves mises sur son chemin.

Moins connu, le cas de Mark Bruneau, un homme d'affaires recyclé dans la politique après la vente extrêmement profitable de son entreprise.

M. Bruneau, très actif au PLC depuis deux ans (les cocktails de financement organisés dans son luxueux appartement du Vieux-Montréal ont permis d'amasser beaucoup d'argent, notamment pour Michael Ignatieff), devait être candidat dans Jeanne-Le Ber, circonscription jugée «prenable» par les libéraux.

À deux jours de son investiture, M. Bruneau a appris qu'il ne sera pas candidat puisque le PLC réservait la circonscription à un candidat vedette. Cette décision frustre le principal intéressé, on s'en doute, mais aussi un groupe de militants qui l'ont aidé depuis des mois à atterrir dans Jeanne-Le Ber.

Les raisons avancées pour écarter Mark Bruneau sont pour le moins nébuleuses, selon différentes sources. M. Bruneau avait déjà essayé de se présenter dans cette circonscription l'an dernier. Même dans les circonscriptions théoriquement imprenables, la méthode Coderre a laissé bien des ecchymoses dans les rangs libéraux.

Dans Longueuil-Pierre-Boucher, par exemple, le jeune militant Jonathan Pedneault a travaillé activement pendant des semaines pour obtenir l'investiture avant de se faire dire que la circonscription irait à quelqu'un d'autre. Question de lui faire bien comprendre le message, on lui a offert ensuite Verchères-Les Patriotes, une circonscription encore plus bloquiste!

Il faut dire que M. Coderre lui-même ne l'a pas eu facile au début de sa carrière politique. La première fois qu'il est allé au casse-pipe pour le PLC, en 1990, c'était contre... Gilles Duceppe, qui allait devenir le tout premier député élu du Bloc québécois.

De toute évidence, M.Coderre croit aux vertus de l'apprentissage à la dure.