Stephen Harper serait-il en train de se transformer, à son corps défendant, en socialiste?

À le voir bricoler à la sauvette des réformettes du régime d'assurance emploi, on croirait bien qu'il a été contaminé par une bactérie socialisante. Cela a commencé, il est vrai, par sa récente conversion aux vertus de l'interventionnisme d'État ou aux programmes d'infrastructures, des symptômes associés aux précédents régimes libéraux.

M. Harper sera aujourd'hui en bonne compagnie à Washington, où il rencontre le président Barack Obama, lui-même qualifié d'abominable socialiste par la droite américaine. M. Harper a d'ailleurs copié plusieurs gestes du président Obama, dont l'aide aux géants de l'auto et l'intervention auprès des banques.

Ce n'est pas pour rien que M. Harper s'excusait presque auprès de ses militants, dans la fameuse vidéo tournée à Sault-Sainte-Marie au début du mois, de devoir faire des gestes qui ne sont pas «normalement associés aux conservateurs». Il voit bien lui-même qu'il est «atteint» de socialisme galopant.

Cette soudaine conversion semble avoir rendu Stephen Harper plus présentable au «socialiste» Jack Layton et au « séparatiste » Gilles Duceppe, qui a indiqué le premier, hier, qu'il votera avec le gouvernement vendredi.

Voici donc Stephen Harper sauvé, ironie du sort, par les socialistes et les séparatistes. Sauvé un peu contre son gré, d'ailleurs, puisque les conservateurs sont probablement en meilleure position que les autres pour se lancer en campagne. Celle-ci attendra toutefois un peu.

Que le Bloc québécois décide d'appuyer le gouvernement vendredi n'est qu'une étape de la joute politique serrée qui s'amorce à Ottawa. C'est la suite qui sera plus délicate. Surtout pour Jack Layton.

Gilles Duceppe n'a pas l'intention de donner un ticket au gouvernement jusqu'au prochain budget, au printemps prochain.

Qu'en est-il de Jack Layton? Combien de temps jouera-t-il le rôle d'allié des conservateurs? Et en échange de quoi?

Pour le moment, Jack Layton peut bien dire que lui, contrairement aux libéraux de Stéphane Dion, ne donne pas de chèque en blanc à Stephen Harper, la perception largement répandue est qu'il est prêt à accorder son appui contre une poignée de petite monnaie, au mépris de ses principes.

Les libéraux craignaient il y a quelques semaines de voir leur chef se «dioniser» en se montrant trop conciliant envers le gouvernement Harper. La menace pèse maintenant sur Jack Layton. S'il appuie le gouvernement au vote de confiance prévu au début du mois d'octobre, le chef du NPD accordera de facto une prolongation de mandat de six mois à Stephen Harper, avec tout ce que cela comporte de risque.

Chez Jack Layton, l'instinct de survie pourrait être plus fort que les principes. Regardez les sondages: s'il y a des élections maintenant, le NPD risque une dégelée qui le ramènerait à sa position marginale des années Chrétien. M. Layton pourrait décider d'«acheter du temps». À crédit. Et les intérêts, qu'il devra verser un jour ou l'autre, risquent de lui coûter une bonne partie de son capital politique auprès de sa base ou des indécis.

Déjà, depuis quelques jours, on note un adoucissement du ton du NPD dans ses communiqués. Le député Paul Dewar, par exemple, annoncera aujourd'hui une consultation des Canadiens au sujet de l'attitude d'Ottawa envers les ressortissants canadiens coincés à l'étranger.

«Les Canadiens sont de plus en plus inquiets à propos du fait que le gouvernement ne reconnaît pas son devoir constitutionnel de protéger nos citoyens à l'étranger», écrit M. Dewar, qui ajoute que «cette campagne citoyenne veut recueillir l'appui des Canadiens de partout au pays pour demander au gouvernement de corriger le système.» Rien pour faire peur aux conservateurs.

Dans l'immédiat, le chef libéral, Michael Ignatieff, n'a pas trop à se plaindre de la tournure des événements.

Le délai accordé au gouvernement lui donne plus de temps pour s'organiser - ce qui n'est pas un luxe pour les libéraux - tout en maintenant la ligne dure envers Stephen Harper.

Et M. Harper, ne risque-t-il pas d'être accusé de pactiser avec le diable?

Le premier ministre semble s'en remettre à de très hautes instances pour le jugement de son bilan. «Pour être honnête avec vous, je suis beaucoup plus préoccupé par le verdict de Dieu concernant ma vie que par celui des historiens», a-t-il répondu dans une entrevue accordée à la revue Prestige, de Québec, et publiée dans le numéro courant.