La chose a fait peu de bruit à Montréal, mais le Tout-Sherbrooke n'en avait la semaine dernière que pour Jean Charest, qui a fêté en grand le 25e anniversaire de son entrée en politique.

C'était en septembre 1984. Jean Charest, âgé de seulement 26 ans, entrait au Parlement fédéral porté par la vague conservatrice de Brian Mulroney.

Dans une entrevue avec le collègue Luc Larochelle de La Tribune, Jean Charest a révélé samedi dernier le secret de sa longévité en politique. L'attrait du pouvoir? Le défi de gouverner? L'amour de la politique?

Non. La passion, a répondu Jean Charest. La passion? Étonnant personnage que ce Jean Charest.

Disons qu'en l'observant depuis une bonne quinzaine d'années, le mot passion n'est certainement pas le premier qui me serait venu à l'esprit.

Au début de sa carrière, il avait la fougue typique de son jeune âge. En 1995, pendant la campagne référendaire, il était certainement animé d'une passion débordante, heureusement pour le camp du Non d'ailleurs, qui collectionnait les éteignoirs.

Mais depuis qu'il est à Québec, le flegme semble avoir pris le dessus chez Jean Charest, du moins en apparence. Pourtant, le feu brûle toujours et s'il n'en tient qu'à Jean Charest, il sera en poste pour de nombreuses rentrées à venir.

« Je ne me vois pas à la retraite, a-t-il expliqué à La Tribune. J'ai même de la difficulté à comprendre ceux qui souhaitent tout arrêter pour jouer au golf. »

Compté pour mort (politiquement, bien sûr) après la débâcle de mars 2007, Jean Charest s'est accroché et a remporté l'improbable pari de regagner une majorité 20 mois plus tard. Après une telle remontée (et après 25 ans de vie politique), on pourrait croire qu'il a fait le tour du jardin, mais tous ses conseillers et ministres à qui j'ai parlé au cours des derniers mois sont unanimes : il reste et se représentera pour un quatrième mandat.

Supposons. Mais pour quoi faire? Parce qu'il ne se voit pas faire autre chose? Parce qu'il aime la politique et le job de premier ministre? Pour battre un record? Pour faire mentir les vilains chroniqueurs (ils l'ont bien cherché !)? Ou pour amener le Québec quelque part, avec un plan, des ambitions, une vision?

Jean Charest est certes mû par une ténacité politique hors du commun, mais on ne peut pas dire que son bilan de premier ministre soit particulièrement étincelant après six ans de pouvoir.

Depuis avril 2003, il y a plus de détours que de lignes droites dans le parcours des trois gouvernements Charest. Au fil des ans, Jean Charest a eu plusieurs « premières priorités », pour reprendre l'une de ses expressions fétiches : la santé, l'emploi, le développement hydroélectrique, l'économie, avec pour résultat qu'en ayant trop de priorités, on finit par ne plus en avoir du tout.

Jean Charest se trouve toutefois aujourd'hui dans une situation idéale, rare pour un politicien. Il a, à la fois, la légitimité conférée par une majorité retrouvée, les coudées franches devant une opposition désorganisée et, surtout, le luxe du temps pour accomplir des choses.

C'est un peu comme si Jean Charest, après avoir survécu au naufrage accroché à un radeau dans une mer démontée, se retrouve maintenant assis aux commandes d'un paquebot sur une mer d'huile. Il peut se contenter d'une petite croisière pépère, et même voguer paisiblement jusqu'aux prochaines élections, ou alors présenter aux Québécois un itinéraire ambitieux vers une nouvelle destination. Pas seulement pour s'assurer un héritage, mais d'abord parce que le Québec en a bien besoin.

Jean Charest peut gouverner sans faire de vagues en pensant à sa prochaine réélection, dans trois ans, ou viser plus loin en présentant un plan de développement du Québec s'étalant jusqu'à la fin d'un éventuel quatrième mandat.

Le premier défi du gouvernement Charest, maintenant que la reprise pointe, sera évidemment de rétablir l'équilibre budgétaire. Ce serait une erreur, toutefois, que de considérer ce but comme une fin en soi. Le retour à l'équilibre devrait être vu comme un moyen de rebondir et de passer à l'étape suivante. D'où l'importance d'avoir un plan à long terme. Autrement dit, ce ne doit pas être qu'un exercice comptable, mais bien un programme politique.

Si, en ce début de session, Jean Charest envisage vraiment d'occuper le poste de premier ministre pendant quelques années encore, les pistes pour un véritable plan ne manquent pas.

Il pourrait commencer par donner une image tangible, une vie, un visage à son fameux Plan Nord, qui, pour le moment, ressemble plus à un slogan qu'au grand chantier de l'avenir qu'il est censé être.

En santé, le gouvernement libéral devra décider s'il continue d'ouvrir le robinet un peu plus chaque année (le budget de la Santé représentera 50% des dépenses de l'État d'ici quelques années) ou s'il met un frein aux dépenses.

Le remboursement de la dette doit nécessairement faire partie de l'équation, mais pas au détriment des investissements cruciaux en éducation, en recherche et en innovation.

Enfin, le débat ponctuel de la rentrée sur la Régie des rentes doit aller plus loin que les calculs actuariels à court terme et viser la pérennité du régime de retraite public.

M. Charest a le luxe du temps et le Québec n'a plus le luxe d'attendre.