Fin 2006, dans les derniers jours d'une très longue période de réflexion, Barack Obama avait demandé de but en blanc à un conseiller: «O.K., à supposer que je plonge, comment gagne-t-on l'Iowa?»

«Tu vas devoir y passer beaucoup, beaucoup de temps pour communiquer avec les électeurs. Tu vas devoir créer des liens. Michelle aussi devra passer du temps en Iowa et tu auras besoin d'une forte organisation», lui avait répondu du tac au tac Steve Hildebrand, son principal organisateur en Iowa(1).

 

En résumé: il va falloir travailler!

Malgré une certaine notoriété et un capital de sympathie évident, Barack Obama ne pouvait surfer sur la vague et espérer remporter le caucus de l'Iowa sans y mettre énormément d'efforts. Ce qu'il fit, d'ailleurs, ouvrant ainsi la voie vers l'investiture démocrate, 18 mois plus tard, et la présidence, deux ans plus tard.

N'importe quel stratège le moindrement allumé aurait donné le même conseil à Michael Ignatieff, en juin, à la fin de la dernière session parlementaire: présence, visibilité, organisation, tournées, poignées de mains, rencontres de stratégie, financement... Travail, travail, travail.

Michael Ignatieff a plutôt choisi de passer un été pépère, misant apparemment sur un inéluctable effondrement des conservateurs. Les libéraux ont bien du mal à se guérir du syndrome du natural governing party, eux qui croient que le pouvoir leur revient toujours, comme une pièce de fer attirée par un aimant.

Pourtant, les sondages démontrent que les conservateurs ont autant de chances de gagner les prochaines élections que les libéraux. Ils accordent aussi une meilleure cote à M. Harper.

Non seulement on ne l'a pas vu beaucoup au Canada dans les dernières semaines, mais Michael Ignatieff a décidé de faire sa rentrée... en Chine, où il séjournera au début du mois de septembre.

Le chef libéral sera bien au Québec cette semaine (jeudi dans Brome-Missisquoi et vendredi dans Compton-Stanstead), mais il ne lui reste plus beaucoup de temps pour se faire voir avant le déclenchement plausible des élections, à la fin de septembre.

Lorsque les libéraux ont quitté la colline, en juin, ils affirmaient déjà que le gouvernement Harper ne survivrait pas jusqu'à Noël. M. Ignatieff ne lui avait accordé un sursis que pour éviter des élections en juillet, disaient-ils.

Que les libéraux se préparent à des élections en novembre n'a donc rien de surprenant. Michael Ignatieff n'a plus vraiment le choix: s'il laisse les conservateurs survivre encore une fois après avoir obtenu si peu au printemps dernier, il risque la «dionisation».

Des élections, donc, mais sur quoi? Quel enjeu?

Sur l'usure du gouvernement? Sur le désir de changement? Franchement, on ne sent ni l'un ni l'autre dans les sondages.

Sur l'économie? Mauvais timing: tous les indicateurs tournent au vert.

Sur une réforme de l'assurance emploi, qui uniformiserait, notamment, la règle des 360 heures travaillées (pour se qualifier) dans tout le pays?

Mauvais cheval. D'abord, un tel changement est loin de faire l'unanimité dans la population - plusieurs électeurs y voient même un recul.

Autre problème: le gouvernement Harper s'apprête à débloquer des centaines de millions de dollars pour des chantiers dans le cadre de son programme de stimulation économique (le tout assorti d'une grande campagne publicitaire).

Ottawa et Québec se sont notamment entendus sur certains projets dans les derniers jours, et des annonces (avec lourde présence ministérielle) auront lieu en août et en septembre. Certaines sources indiquent que le gouvernement Harper a mis de la pression sur Québec récemment pour débloquer les projets communs.

Pendant que Stephen Harper annoncera des jobs à coup de centaines de millions de dollars, Michael Ignatieff mènera la lutte pour ouvrir les vannes de l'assurance emploi. Avantage Harper.

Par ailleurs, les dossiers d'Omar Khadr, de la grippe A (H1N1) ou des isotopes médicaux ne sont certainement pas à l'avantage du gouvernement mais, devant le peu de réaction des Canadiens, il est pour le moins douteux que les libéraux réussissent à les transformer en enjeu électoral majeur.

Le calendrier favorise aussi Stephen Harper, qui se «sauvera» de la première semaine aux Communes pour rendre visite à Barack Obama à Washington le 16 septembre. La semaine suivante, il sera à Pittsburgh pour une rencontre du G-20 aux côtés des grands de ce monde.

Si la question du «sur quoi» faire campagne n'est pas évidente pour les libéraux, celle du «avec qui» l'est encore moins.

Pour le moment, on ne peut pas dire que l'effet Ignatieff se soit traduit par une bousculade de candidats aux portillons libéraux. Les deux «gros» noms qui circulent pour le moment sont ceux de Jean Leclerc à Québec (des biscuits Leclerc) et de Martin Cauchon, qui voudrait revenir dans Outremont.

Les libéraux bombent le torse en ce moment, mais il ne leur reste pas beaucoup de temps pour s'organiser, pour recruter, pour élaborer de grandes stratégies et pour mieux faire connaître leur chef.

Dans les circonstances, la décision de défaire le gouvernement, fin septembre, repose en grande partie sur un coup de dé.

À moins que ce ne soit sur cette assurance, à la limite de l'arrogance, qui faisait dire à Michael Ignatieff, en mai: «Je vais devenir premier ministre de ce pays, aussi certain que je suis assis ici devant vous, et je vais hériter du plus gros déficit de l'histoire du Canada.»

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(1) Tiré de Renegade, The making of a president, par Richard Woolfe, Ed. Crown, 2009.