En avril dernier, au salon des vins du Centre-du-Québec, j'ai rencontré des fromagers artisans qui n'avaient pas une très haute opinion de celui qui était à l'époque le ministre de l'Agriculture.

- Tiens, essaye donc notre nouveau fromage, on l'a baptisé le P'tit Lessard, m'a dit un barbu à l'air espiègle

- Lessard? Comme Laurent Lessard, le ministre de l'Agriculture? ai-je demandé avant d'engouffrer l'excellent échantillon

- Oui, c'est ça, c'est une patte molle, comme le ministre, m'a répondu le bonhomme, pince-sans-rire.

Souhaitons pour lui (et pour nous) que Laurent Lessard jouisse d'une meilleure cote de crédibilité dans les milieux municipaux, dont il vient de devenir le ministre, parce qu'autrement, il va trouver le temps long. Et nous aussi, surtout à Montréal, qui aurait bien besoin, pour une fois, d'un ministre sensible aux particularités de la métropole.

Il convient de donner la chance au coureur en de telles occasions, mais disons que les réactions tièdes (au mieux) du monde municipal montréalais à la nomination de M. Lessard laissent croire que le nouveau ministre devra faire ses preuves.

Il ne suffit pas d'être ancien maire pour faire un bon ministre des Affaires municipales, comme il ne suffit pas d'être médecin pour exceller à la Santé. En plus, sans rien enlever à la région de Chaudière-Appalaches, son chef lieu, Thetford Mines, n'a pas grand-chose en commun avec Montréal.

Par ailleurs, M. Lessard a la réputation d'être un politicien coloré (selon la version polie), voire même rustre (selon la version crue).

Il quitte l'Agriculture au moment où les relations entre le gouvernement du Québec et le milieu agricole sont au plus mal, quoiqu'en dise le premier ministre Charest.

En outre, sa gestion de la crise de la listériose dans les fromageries québécoises, il y un an, a provoqué une colère durable dans cette industrie.

Écorché par la protectrice du citoyen, qui a écrit dans un récent rapport que le ministère de l'Agriculture a mal géré la crise de la listériose, Laurent Lessard a rejeté par un retentissant «pas question» toute compensation à deux fromageries (la Société coopérative agricole de l'Ile-aux-Grues et la Fromagerie Blackburn), «faussement associées à la cause possible de la contamination», selon la protectrice du citoyen.

Quoiqu'il en soit, le grand gagnant du remaniement de mardi est sans conteste Laurent Lessard.

Et le perdant, Claude Béchard.

La rétrogradation du jeune ministre des Ressources naturelles à l'Agriculture, est surprenante puisque celui-ci vient tout juste de lancer une importante réforme de la gestion de la forêt. M. Béchard, qui a été sur le carreau pendant de longs mois à cause d'un cancer, aurait certainement aimé voir sa réforme prendre forme.

Au lieu de cela, il hérite d'un ministère en mauvais état et d'un ministère passif, les Affaires intergouvernementales canadiennes.

Clément Gignac, élu dans la partielle de lundi avec 23% des voix dans Marguerite-Bourgeoys, gagne lui aussi au jeu du remaniement en accédant directement au cabinet. (Au fait, 23%, c'est le pire taux de participation dans une élection partielle depuis 1963, depuis que le Directeur des élections compile ces données, soit le pire taux en 95 élections partielles).

De toute évidence, M. Gignac avait un «deal» avec le premier ministre pour entrer si vite au cabinet. On peut même se demander si le tout n'avait pas été «arrangé» l'automne dernier : Monique Jérôme-Forget se représentait à la demande de Jean Charest, elle devait démissionner après son budget, libérant ainsi un siège sûr à la recrue vedette des libéraux.

Cette nomination est sans doute une bonne nouvelle pour les libéraux, mais elle ne fera probablement pas l'affaire de quelques back benchers, comme Alain Paquet, Guy Ouellette ou Michel Pigeon, qui attendent patiemment leur tour.

L'inexpérience politique de M. Gignac explique peut-être qu'il a annulé mardi matin toutes les entrevues qu'il s'était engagé à donner au lendemain de son élection. Le bureau du premier ministre voulait probablement s'assurer que le nouveau ministre maîtrise les bonnes «lignes» avant d'affronter les médias. En particulier sur sa participation, à titre de fonctionnaire fédéral, à l'élaboration d'une commission des valeurs mobilières pancanadienne.

Mais au fait, pourquoi un remaniement si rapide, si, comme Jean Charest aime le répéter dans ses envolées auto-congratulatoires, le gouvernement n'a pas de problème, ne connaît aucune raté? Tout baigne, quoi.

Il y avait quelque chose de cocasse à entendre Jean Charest insister lundi devant les journalistes pour dire que ce brassage arrive «plus» de six mois, après la réélection de son gouvernement. En effet, six mois et 15 jours...

En fait, lorsqu'un premier ministre se sent l'obligation de remanier son équipe après six mois, c'est généralement le signe que tout ne baigne pas, justement.

Cela dit, le premier ministre Charest peut partir en vacances l'âme en paix, avec deux gains en poche et une opposition anémique.

Sur le site internet du PQ, on pouvait voir encore mardi une fenêtre claironnant : «Je veux Paul Crête à Québec». Et pas un mot sur le remaniement du gouvernement Charest. Même pas un petit communiqué de circonstance.

Faut croire que les péquistes étaient pressés de partir en vacances.